« First Cow » : ruée vers l’or blanc

Otis « Cookie » Figowitz vient s’installer dans l’Oregon, engagé par des trappeurs. Il se lie avec King-Lu, et tous deux cherchent un moyen de prospérer. Jusqu’au jour où le Facteur en chef acquiert une vache, la première des environs…

Prix du Jury à Deauville en 2020, le film de Kelly Reichardt, déjà très attendu à l’époque, a connu en France un destin particulier, entre disponibilité sur Mubi et sortie en salle tardive. Et on se réjouit de pouvoir tout de même découvrir sur grand écran ce western qui n’en a pas l’air. D’abord, parce que la scène d’ouverture est contemporaine, avec une promeneuse et son chien se baladant dans une forêt de l’Oregon, jusqu’à ce qu’une découverte nous fasse basculer en 1820.

Ensuite, parce qu’on a plutôt l’habitude que les westerns aient pour cadre des paysages désertiques à la terre orangée, des villes en bois et des villages indiens avec des tipis, et qu’on s’attend à des duels (de regard ou au pistolet). Mais ici, s’il y a bien un genre de saloon, l’essentiel de l’intrigue se déroule dans la forêt, dans des paysages verdoyants. Les maisons sont en fait des sortes de bidonvilles faits de bric et de broc, et les native americans ont leurs entrées dans les maisons des riches locaux où ils/elles apparaissent élégamment vêtu(e)s.

Par rapport à l’imagerie habituelle, il y a ici quelque chose à la fois de plus terreux, de plus misérable, de vraiment précaire, une violence davantage perçue comme une histoire de classes sociales que de rivalités de bandes et de colonisation mortifère. Mais également une certaine douceur liée à la présentation de personnages très proches de la nature dans leur quotidien. Cette douceur est aussi liée à l’esthétique du film, qui magnifie la forêt par le format 4 :3 qui met en valeur la hauteur des arbres et des fougères, au sein desquelles les humains sont rendus à leur vulnérabilité, et une lumière ocre presque crayeuse qui dépose comme une poussière atténuante sur les contrastes de cette vie malgré tout bien dure. La bande-originale de William Tyler, country mélancolique et tendre, coïncide parfaitement avec cette ambiance rustique paisible.

Bien que la caméra, parfois subjective, n’emprunte pas le point de vue de l’animal qui donne son titre à cette adaptation d’un roman de Jonathan Raymond, le co-scénariste habituel de Kelly Reichardt, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a dans la mise en scène quelque chose qui s’inspire de la placidité de la vache. Evie, choisie pour ses immenses yeux humides, est remarquablement silencieuse et statique lorsqu’un inconnu vient s’aventurer à la traire de nuit, et par la suite, elle a même pour lui des mouvements d’affection. Immobile, à l’exception de sa tête, qu’elle tourne pour contempler les alentours, l’animal lègue à la caméra sa tendance aux plans fixes que les personnages traversent, bondissants dans une nature figée comme un tableau, et aux panoramiques horizontaux qui nous font découvrir lentement chaque nouveau décor.

Cette atmosphère inattendue pour ce genre cinématographique doit aussi beaucoup à l’incarnation de Cookie par John Magaro. Alors que King-Lu (Orion Lee) le presse de rêver plus grand, on sent chez le pâtissier un goût de la vie humble et des plaisirs simples comme ses beignets au miel. Armé de son fouet en bois, il prend le temps de peaufiner ses préparations, tout comme de parler à la vache qui rend possible ses miracles gustatifs. On sent dans la caméra de la réalisatrice un grand respect pour ce personnage modeste, victime sans rébellion d’une société où déjà les écarts sociaux sont scandaleux. On sent poindre le fil d’une dénonciation d’un système qui peut rendre amer les laissés-pour-compte, avec le personnage du jeune assistant du Facteur, ombre bleutée rongée de frustration. Mais comme par respect pour ses personnages, le scénario n’ira pas jusque-là, laissant hors champ la violence, car définitivement, ce n’est pas là ce qui intéresse la cinéaste.

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