« Eugénie Grandet », masterclass de l’échec adaptatif

À Saumur, la famille Grandet vit très chichement et le père rechigne à marier Eugénie, ce qui lui coûterait une dot. Lorsque son frère, ruiné, se suicide, il accepte à contrecœur d’aider Charles, son neveu. Celui-ci s’éprend d’Eugénie, et réciproquement…

Marc Dugain poursuit, après L’Échange des princesses, son travail d’adaptations littéraires historiques. Il s’attaque ici à un morceau complexe, un des romans les plus célèbres d’Honoré de Balzac. Réputé pour avoir été payé à la ligne lorsqu’il écrivait des feuilletons pour les journaux de son temps, le romancier n’est de ce fait jamais avare de descriptions ni de détails, ce qui donne une matière riche propice à la transposition à l’image (on retrouvera d’ailleurs prochainement une autre de ses œuvres, Illusions perdues, au cinéma). Une huitième adaptation d’Eugénie Grandet, donc, dont la précédente remontait à 1994 pour la télévision, pourquoi pas. Encore faut-il apporter quelque chose de nouveau, proposer un regard propre, qu’il soit esthétique ou narratif.

Sur ce dernier point, le cinéaste, romancier avant tout, semblait partir avec une longueur d’avance, l’habitude de raconter des histoires sous différents formats. Il se sent donc pousser des ailes pour aller jusqu’à totalement réécrire la fin de l’intrigue, faisant de la timide Eugénie un personnage à l’évolution sans doute plus « contemporaine », mais point balzacienne du tout. On comprend bien la volonté d’apporter une forme de revanche, sans doute en s’imaginant qu’elle serait du goût de l’époque et du public féminin contemporain, mais ce retournement arrive comme un cheveu sur la soupe et ne convainc guère, alors que l’évolution du personnage chez Balzac est plus nuancée, lente et crédible. Et tout cela pour s’achever sur une fin semi-ouverte sans vraie apothéose : quitte à faire d’Eugénie une soudaine rebelle face aux mœurs de son temps, autant que cela ait de l’allure, mais non. Même pas.

S’il n’y avait que cette fin anachronique, on aurait pu passer un bon moment jusqu’aux dix dernières minutes, et peut-être aurait-on pardonné cet élan avorté. Mais auparavant, le film empile à peu près tous les exemples de ce qu’il ne faut pas faire lorsqu’on adapte un roman historique. On a l’impression de voir un obscur mauvais téléfilm d’une chaîne régionale, voire un court-métrage d’étudiant(e) de première année qui s’étire en longueur. La dernière fois qu’on a été aussi scandalisé(e), ça devait être avec Dernier amour, qu’on serait tenté de réévaluer positivement par comparaison. On évitera de blâmer les acteurs/trices, qui font ce qu’ils/elles peuvent avec ce qu’on leur donne, c’est-à-dire un texte qui oscille entre formules de style balzacien et platitudes, et un décor catastrophique éclairé à la truelle. Que diable Joséphine Japy, Olivier Gourmet et Valérie Bonneton allaient faire à cette galère ? On plaint l’acteur qui a découvert le film en même temps que le public dans une salle du CGR d’Angoulême.

Pour lister rapidement les défauts majeurs du film, il faut évoquer le cadre du roman, la petite ville de Saumur, qui dispose d’une maison dite d’Eugénie Grandet, dans la rue du Fort où Balzac la situe. Le quartier a la chance d’avoir conservé des maisons à colombages, de quoi reconstituer assez facilement des plans d’extérieur d’époque, mais non. Du dehors, on ne verra quasiment qu’une vieille église, effectivement bâtie dans la pierre de tuffeau locale, des prairies vides et un bout de forêt. Mais encore peut-on se priver de jolis extérieurs si l’on se rattrape sur des intérieurs exceptionnels. Or pour signifier la pingrerie du père Grandet, Marc Dugain et son équipe ont dû croire qu’il fallait insister lourdement sur la pauvreté des lieux, qui sont non seulement excessivement sombres en termes de mobiliers et de murs, mais surtout éclairés d’un jaune pisseux qui rend tout le monde blafard à l’écran et oblige à plisser les yeux pour distinguer quelque chose. Le tout semble nous hurler à la face « vous avez compris qu’ils sont pauvres ? ». Il faut dire que le cadrage et la mise au point n’aident pas, mention spéciale au premier dialogue entre Joséphine Japy et Valérie Bonneton où la première apparaît floue derrière un bout de chignon de la seconde, sans que ce cadrage revête une signification particulière. Engoncé dans sa laideur esthétique et sa pesanteur de montage, le film ennuie dès les premières minutes et ne propose rien à se mettre sous la dent, ni en terme d’émotion de cinéma ni d’émotion tout court. En plus de nous faire perdre notre temps, il contribue à l’image des œuvres classiques comme des livres poussiéreux bons à caler des meubles, ce qu’ils ne sont absolument pas (en tout cas pas Eugénie Grandet), et risque de dégoûter quiconque s’y risquerait de s’attaquer à cette lecture.

 

7 commentaires sur “« Eugénie Grandet », masterclass de l’échec adaptatif

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    1. Alors je me demande si l’étalonnage n’a pas été corrigé depuis Angoulême, parce que ça m’a paru moins jaune dégueu dans la bande-annonce, ce serait déjà ça ! Illusions perdues la BA ne me dit rien qui vaille honnêtement, rien que la façon de parler de Vincent Lacoste me paraît hautement anachronique. Mais bon, j’irai voir !

  1. Et bien, ça ne donne pas envie. D’autant que j’adore Balzac. Déjà moderne, il n’a d’ailleurs nullement besoin d’être dépoussiéré ou modernisé.

  2. Généralement, je préfère lire les livres avant de voir les films. Donc là, je n’avais déjà pas dans l’idée d’aller le voir, mais je vais définitivement me contenter de lire le livre !

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