Alors que son père se retrouve en liquidation judiciaire, Constance décide de reprendre avec son fiancé l’exploitation bovine familiale, avec un projet de montée en gamme. Elle est appuyée par Sylvain, un riche propriétaire terrien qui exerce un rôle politique local…
C’est en découvrant un marché aux bestiaux que Naël Marandin se prend de fascination pour ce lieu qu’il trouve hautement cinématographique. Il remarque qu’il n’est peuplé que d’hommes, et cela le renvoie à la problématique de son film précédent, La Marcheuse, qui plaçait une femme en lutte contre les hommes cherchant à la dominer.
Pour donner corps à la jeune femme seule contre tous, il choisit Diane Rouxel, qui a déjà donné dans ce créneau avec Volontaire. Silhouette frêle mais démarche assurée au milieu de ses bêtes, Constance est une professionnelle efficace doublée d’une tête bien pleine : pour lutter contre la baisse des prix dont on voit bien dans la scène d’ouverture comment elle a fini par couler l’affaire de son père, elle mise sur une montée en gamme avec plus de local et de circuit court.
Un réel enjeu politique sur la vision de l’élevage de demain traverse le film et n’en est pas l’aspect le moins intéressant, même s’il est rapidement relégué derrière une forme de guerre d’egos masculins, symbolisée par la lutte de pouvoir pour diriger une commission qui appuie ou non des projets locaux, et surtout par des scènes extrêmement clichées dès qu’on évoque le milieu rural, comme le père sortant le fusil pour chasser un intrus. Le personnage d’Olivier Gourmet, qui fait ce qu’il peut avec ce qu’on lui écrit, est d’ailleurs l’archétype de l’homme de la campagne : taiseux, sanguin, rustique, solitaire, toujours en bottes à houspiller ses troupes. Le scénario, coécrit avec Marion Doussot et Marion Desseigne-Ravel, semble avoir occulté que le monde agricole d’aujourd’hui a évolué depuis les années 80 (il ressemble en effet énormément à ce qu’on peut en distinguer dans Louloute). Au-delà de cette référence, les scènes au marché aux bestiaux rappellent les comices agricoles de Madame Bovary ou Loin de la foule déchaînée. Aujourd’hui, les agriculteurs sont des personnes connectées au monde et à la technologie, qui peuvent également avoir d’autres passions et centres d’intérêt. Mais tout cela n’existe pas dans La terre des hommes.
Il n’y a que le travail, et pour Constance, qu’on présente comme une fille de caractère mais ayant hélas fort peu l’opportunité de le prouver avant la toute fin du métrage, le fait de rentrer dans le moule en satisfaisant tous les hommes de son entourage. On comprend qu’elle ne puisse résister à l’abus de pouvoir perpétré par Sylvain (Jalil Lespert), mais elle est aussi docilement prête à sauver l’exploitation paternelle, et ne se bat que lorsqu’elle le voit sur le point d’être dépossédé ; de même, elle n’attaque en justice son agresseur que dans le but de prouver à son mari sa bonne foi et tenter de le récupérer.
On a bien compris que le propos est de montrer un milieu gangrené par l’entre-soi masculin, le machisme, la violence envers les femmes. L’image grise et le montage tendu excellent à mettre mal à l’aise et le scénario est assez radical de ce point de vue, allant jusqu’à enfermer la victime dans un enclos, soumise à un jeu pervers d’enchères de la part de ses collègues masculins. Mais c’est un autre homme de pouvoir qui vient l’en sauver.
Constance ne dit rien, à personne, et on peine ainsi à la comprendre. Il faut dire que la caméra n’adopte pas son point de vue, mais une forme de neutralité qui n’est pas sans lorgner du côté du male gaze. Les scènes de sexe ou de baisers non consentis sont naturellement glaçantes, mais finalement celles avec son mari le sont presque autant, aussi dépourvues de ce qu’on appelle vulgairement préliminaires et de fantaisie amoureuse. Dans un cadre choisi ou non, la femme reste celle qu’on prend, et même si c’est à elle que s’adressent les instances responsables de son dossier, sa carrière ne peut être un sujet qu’avec son époux à ses côtés. Qui plus est, les autres personnages féminins sont très rares et peu présents à l’écran, et absolument aucune sororité n’existe. Si la réaction de son amie est possible, pourquoi ne pas lui avoir donné une deuxième copine qui aurait pu faire preuve de plus d’empathie ? À force de mettre les choses au pire de tous côtés pour être sûr de marquer les esprits, le film manque de nuances.
Votre commentaire