Guermantes
Mi-juillet 2020, le comité de la Comédie-Française vote l’annulation du spectacle Le côté de Guermantes mis en scène par Christophe Honoré, qui l’apprend en pleine répétition…
Pendant le premier confinement, les artistes du spectacle vivant se sont trouvé(e)s brutalement au chômage, enfermé(e)s loin des planches, chacun(e) chez soi, rupture brutale avec l’esprit de troupe. Pour la Comédie-Française, impossible de jouer mais impossible aussi de rester à tourner en rond. Le groupe communique en visio, et décide rapidement d’une action culturelle investissant un des médias encore disponibles pour toucher le public : c’est sur YouTube que la troupe se renouvelle, créant des pastilles alternant les genres – lectures suivies, explications de textes à destination des scolaires, anecdotes intimes sur leur rapport au métier – et diffusant des spectacles tous les soirs. C’est drôle, tendre, vivant, et l’occasion pour les habitué(e)s de « La Comédie continue » d’apprendre à connaître la troupe sous un nouvel angle, de manière plus individuelle.
Quelques mois plus tard, alors qu’on se réjouissait de les retrouver sur les planches, notamment dans le très attendu spectacle de Christophe Honoré autour de l’œuvre de Proust, les mesures sanitaires viennent une fois encore déjouer nos attentes et celles de la troupe du Français. Prévenu qu’il va avoir quelques jours de répétition avec ses comédien(ne)s, le cinéaste obtient une caméra et envoie de brèves consignes à ses partenaires de travail. Il ne sait pas encore précisément que le spectacle sera annulé, mais il sent l’opportunité de filmer ce qui se passe, comme un témoignage de la particularité du moment.
Ce film, c’est Guermantes, un témoignage de ces instants vécus en groupe comme un deuil de ce spectacle qui ne trouvera pas ses spectateurs/trices. Le métrage commence par l’interprétation délicate de « Lady d’Arbanville« par Stéphane Varupenne, instaurant une atmosphère douce et tendre aussitôt démentie par le débat qui fait rage en coulisses et vient polluer le travail sur le plateau. L’image policée de la troupe vole en éclats avec la dissension qui s’installe entre celles et ceux qui veulent tout arrêter et celles et ceux qui souhaitent continuer à répéter, mais aussi entre les membres de la commission de direction qui a voté l’annulation du spectacle, et les autres, dont le metteur en scène, qui n’ont pas voix au chapitre. La crise affecte tout, elle menace même l’unité du groupe.
C’est par ce prisme que l’on entre dans l’intimité de la distribution de la pièce, une large partie des Comédien(ne)s-Français(es), par celui de la tension. Mais peu à peu, se rendant à l’appel de Christophe Honoré, tous/tes acceptent de poursuivre le travail avec lui quelques jours, quand bien même ils/elles trouveraient cela stérile. Ce qui suit est le mélange du texte proustien en cours de mise en scène, avec des passages marquants comme la mort de la grand-mère (interprétée par Claude Mathieu, la doyenne de la distribution), et des moments en coulisse ou dans le jardin attenant au théâtre Marigny, où la troupe a migré pendant les travaux de rénovation de la salle Richelieu.
À quoi assistons-nous vraiment ? La caméra parvient si bien à se faire oublier dans ce qui paraît un documentaire que nous avons l’impression de voir la vérité nue, les relations entre les acteurs/trices, les confidences intimes, les gestes tendres qui trahissent toujours plus, d’une façon ou d’une autre, qu’un rapport de collègues. Certaines informations coïncident avec la réalité, mais d’autres éléments pourraient aussi bien être scriptés. On a affaire à des comédien(ne)s si brillant(e)s qu’ils/elles pourraient aussi bien être en train de s’interpréter eux/elles-mêmes, un peu comme dans Dix pour cent, jouant leur propre rôle mais légèrement décalé. Et c’est bien là ce qui fascine, la porosité de la frontière entre la vie et la scène, entre le réel et la fiction.
Dans cette parenthèse soumise à l’angoisse de l’avenir professionnel face à la crise, mais aussi aux tensions qui animent un groupe, créativement fertiles, naissent des instants suspendus, des petits miracles. Un pas de danse dans l’air doux du soir, une chanson fredonnée pour soi seul dans la salle de bain d’une suite de luxe, une scène qu’on joue entre soi, pour personne, pour l’amour de l’art. Guermantes en suinte par tous ses plans, de cet amour du jeu, celui qui implique tant le corps que la voix, mais aussi de l’amour, tout court, qui unit ce groupe en dépit de tout. C’est beau comme la vie, comme le théâtre, comme la vie qui n’est qu’un théâtre.
Les Magnétiques
Philippe et son frère aîné tiennent une radio pirate dans les années 80. Au lendemain de l’élection de Mitterrand, Philippe est appelé au service militaire…
Pour son premier long, Vincent Maël Cardona s’offre une sélection à la Quinzaine des Réalisateurs et le Prix d’Ornano-Valenti de Deauville. Un joli doublé pour un joli film, qui aurait pu faire craindre de tomber dans le déjà vu avec ses premières images en noir et blanc au moment de l’élection de Mitterrand, un poncif de ces dernières années au cinéma. Pourtant, rapidement, le scénario nous emmène ailleurs grâce à la voix off du narrateur qui nous explique qu’il ne s’intéressait pas à la politique. C’est moins le portrait d’une génération comme dans Des lendemains qui chantent que celui d’un jeune homme, incarné par Thimotée Robart, qui séduit par son côté rêveur et en retrait par rapport à son aîné Jérôme (Joseph Olivennes). Alors que son frère enchaîne les frasques, boit comme un trou, s’engueule avec son père, Philippe se satisfait d’être dans son ombre et d’apaiser les choses. Mais quand Jérôme se met en couple avec Marianne, Philippe s’éprend de la jeune coiffeuse et les problèmes commencent. D’autant que sur ces entrefaites, le jeune homme doit partir pour l’armée. L’occasion, sans entrer tellement dans le détail de la vie militaire, de subtilement faire ressentir la distance entre Philippe et les autres. La masculinité est présentée comme un idéal problématique, les « mâles alpha » étant dénigrés dans leur volonté de paraître toujours forts, de ne connaître comme émotion visible que la colère. On le voit autant dans les quelques plans des chambrées militaires que dans la propre famille du protagoniste où les mêmes règles sont à l’œuvre. Un mec, ça gueule, ça ne pleure pas, ça ne dit pas que ça va mal.
Pendant ce temps, Philippe, lui, tente de trouver une façon élégante de répondre à la déclaration que Marianne a subtilement glissée sur une cassette au milieu de morceaux de groupes allemands. Ses deux amours s’entremêlent lorsque son nouvel ami le pistonne pour un poste à la radio : Philippe peut enfin retrouver sa passion d’adolescence mais aussi une façon de transmettre son message personnel. La scène du happening audio est particulièrement réussie dans son mouvement visuel, ses gros plans sur les mains qui s’agitent, et son résultat sonore, quelque part entre un travail de DJ et de la musique à la John Cage. Sur l’aspect musical, et la façon dont les jeunes des années 80 et suivantes ont pu apporter du sang neuf, Les Magnétiques fait penser à Eden, en plus réussi car plus fictionnalisé, moins redondant et plus tendre.
On s’attache à Philippe, justement parce qu’il n’en dit pas trop, ne fait pas d’esbroufe, admet sa sensibilité et ses failles. Mais aussi parce que, malgré tout, il ne veut rien lâcher : ni son amour pour Marianne bien qu’elle soit déjà prise, ni son affection à la fois pour son frère et son père, ne prenant jamais parti dans leur conflit, ni son rêve de radio qu’il peine à exprimer. Ce parcours sensible parvient à émouvoir et à sonner nouvellement, quand bien même les coming of age de cette période pullulent déjà. Vincent Maël Cardona trouve aussi comment sublimer à l’écran la province, non pas dans ses beaux paysages ruraux mais dans ses petites villes vieillottes, qui prennent une autre dimension nocturne à la lueur des phares. Trouver la beauté dans le plus banal, faire jaillir la lumière du plus discret, c’est tout le succès de ce premier long.
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