Antoine Galland, chercheur spécialisé dans les contes, est sollicité par le pouvoir pour trouver une figure à mettre en avant pour renouveler les rapports entre l’Orient et l’Occident. Il suggère son homonyme, traducteur des Milles et une nuits…
Après Les Embrouillaminis, les éditions Aux Forges de Vulcain poursuivent la publication de récits de vie fictifs et divertissants. Ici encore, on mise sur le dépaysement. Après le Mexique, direction l’Égypte aux côtés d’un personne d’anti-héros assez classique du genre : Antoine est un indécis qui ne correspond pas aux codes de la virilité exacerbée, un doux rêveur passionné de littérature et maladroit, ce qui a d’abord séduit la mère de ses filles avant de l’exaspérer jusqu’à la séparation.
Mais Antoine Galland, c’est aussi le nom du traducteur des Milles et une nuits, au XVIIe siècle. Une coïncidence qui semble présider au destin de l’Antoine d’aujourd’hui, qui travaille en particulier sur les traces de son prédécesseur et se voit choisi par l’Élysée en qualité d’intellectuel pour suggérer la nouvelle figure rassembleuse, à une période de dissensions alimentées par les attentats. Antoine promeut donc Antoine, et ce qui semble à ses yeux un cercle vertueux le met sur la sellette.
Mais il compte bien sur ses vacances avec ses deux filles, aux prénoms végétaux marqueurs de classe sociale, pour se changer les idées et ne pas penser aux révélations qui l’ont troublé.
L’auteur s’amuse à concocter une sorte de déclinaison du Club Med pour personnalités aisées, où tout le monde lit le dernier roman en vogue sur la plage et où l’on boit des verres dans un entre-soi si restreint qu’Antoine y retrouve son ami de jeunesse, perdu de vue depuis son mariage.
Entre le conte et la farce, le récit s’amuse de l’usage détourné de la culture orientale, en particulier avec la création d’un jeu autour de la princesse Badroulboudour, figure de l’histoire traditionnelle d’Aladdin, souvent éludée au profit de Jasmine depuis que Disney est passé par là.
La plume de Jean-Baptiste de Froment nous balade avec facétie, distillant ses informations comme on assemble les pièces d’un puzzle, dont l’image finale révèlerait autre chose que le modèle. Petit à petit, ce qui semblait un portrait d’homme un peu perdu dans le monde contemporain, légèrement inadapté, puis un genre de jeu de piste au sein du « Kloub », se mue en une satire politique. Comme les contes qui gardent leur moralité pour la fin, la fiction enchaîne les révélations dans le dernier tiers, et fait de sa suite de rebondissements le cheminement vers un discours sur les rapports contemporains entre Orient et Occident. On reconnaît bien là le point de vue de l’auteur, ancien conseiller politique, dont la connaissance des rouages du milieu permet un certain réalisme quand bien même il s’embarque dans une situation de révolution totalement fictionnelle. Mais que veut exactement nous dire l’auteur ? Assume-t-il le point de vue des insurgé(e)s réclamant une deuxième décolonisation, plus claire et honnête que la première qui a laissé les pays « du Sud » largement assujettis économiquement, en témoigne ce luxueux complexe de vacances qui embauche quelques « indigènes » triés sur le volet et repousse les autres hors du périmètre de sa jolie plage protégée ? Ou celui du pouvoir, qui ne voit aucun inconvénient à employer le folklore pour apaiser l’opinion, quitte à déifier une personnalité historique méconnue sans vérifier son pedigree ? Ou bien encore la tentative de compromis d’Antoine, qui veut renvoyer dos-à-dos les insurgé(e)s des deux bords au profit d’un lénifiant baratin sur l’apport de l’échange et de la mutualisation ?
Avec sa fin en queue de poisson, qui rebascule sur le privé à la dernière minute comme pour éviter de trop se mouiller politiquement, Badroulboudour est un drôle de livre qu’on dirait inachevé. Pour autant, dans sa description d’un homme d’aujourd’hui qui n’entre pas dans les codes et son côté aventure à rebondissements, le récit convainc aisément.