Les Meilleures
Lorsque Zina emménage à côté de chez elle, Nedjma est rapidement troublée par la jeune fille. Mais son groupe de copines prend en grippe la nouvelle arrivante et décide de lui tendre un piège…
C’est inspirée par son expérience auprès de jeunes du XVIIIe arrondissement parisien alors qu’elle était tutrice au moment des manifestations pour et contre le mariage pour tous que Marion Desseigne-Ravel a eu l’idée du scénario des Meilleures. Le titre fait référence à l’expression employée par les adolescentes pour désigner leur « BFF ».
On s’attend donc à un film sur l’amitié adolescente, et c’est bien ce qu’on découvre au départ. Un groupe de quatre copines soudées, comme dans Mignonnes ou Bande de filles, qui ont leurs habitudes, leurs délires communs et leur point de ralliement, un banc repeint en rose sur lequel personne d’autre n’a le droit de s’asseoir.
C’est d’ailleurs par celui-ci que le scandale arrive, le jour où la nouvelle arrivante Zina (Esther Rollande), s’y installe sans savoir qu’elle commet un « crime de lèse-majesté ». Une histoire de gamines qui déchaîne des représailles via les réseaux sociaux, et fait prendre conscience à Nedjma (Lina El Arabi) qu’elle ne souhaite pas de mal à Zina, bien au contraire…
La romance lesbienne démarrée sur un coup de tête par un baiser dans le couloir prend du plomb dans l’aile avec l’adversité : le scénario s’attache à montrer l’intolérance du milieu dans lequel évoluent les deux jeunes filles. En dépit de son esthétique aux couleurs pop (le rose de Zina qui envahit l’écran par petites touches), la violence est bien présente, verbale et physique, entourant Nedjma, la protagoniste, d’une sorte de brouhaha hostile constant, qui s’exprime tant en face-à-face que par le biais d’insultes au marqueur dans l’ascenseur ou sur les réseaux. Face à une homophobie ancrée, l’échappatoire est à chercher vers le ciel : c’est sur les toits que Zina et Nedjma trouvent un espace de liberté. Un symbole fort, où le caché est ce qui se voit en plein jour.
Le casting mi-amateur mi-professionnel est à la hauteur, le sujet d’importance. Il est même triste qu’il soit encore nécessaire à ce jour de devoir créer des œuvres pour ouvrir les esprits et faire réfléchir sur de telles thématiques. Côté réalisation, en dépit d’une scène surréaliste qui fonctionne, l’ensemble reste très classique et s’appuie sur de nombreux lieux communs de la représentation des « quartiers » au cinéma. Au moins le film est-il esthétiquement très accessible, avec des références musicales qui peuvent parler aux jeunes, ce qui devrait permettre de toucher un public de concerné(e)s et générer des prises de conscience salutaires.
Amants
Simon et Lisa s’aiment depuis l’enfance. Alors que la jeune femme étudie en école hotellière, son compagnon subvient à leurs besoins en dealant. Il sympathise avec un gros client qui les invite à des dîners…
Après l’adaptation Mal de pierres, Nicole Garcia retrouve son comparse Jacques Fieschi à l’écriture pour un thriller amoureux sombre. D’emblée, en dépit de l’amour passionné que se portent Lisa et Simon, les protagonistes, la menace plane sous la forme d’une photographie où la couleur tend au noir et blanc avec un panel de nuances de gris bleuté, qui s’inscrit dans les décors (murs peints en anthracite dans l’appartement que le couple occupe) et les vêtements (Lisa porte un uniforme noir et blanc ou un pull gris bleu). On est loin de l’esthétique traditionnelle de la passion avec ses couleurs chaudes et sa flamboyance.
Pourtant, il ne faut pas croire que le rendu soit glauque : l’image est magnifique et sublime à l’écran le couple crédible et glamour incarné par Stacy Martin et Pierre Niney. Mais leur passion semble d’autant plus touchante qu’on la sent fragile et menacée. La menace, elle aussi, est sans couleur : c’est la poudre blanche dont le jeune homme tire ses revenus et qui lui fait courir des risques bien plus grands que ceux qu’il imagine. Alors qu’il semblait vivre en quasi-autarcie, le couple accepte de s’ouvrir à l’amitié offerte par un bon client de Simon, Pierre Henri (Christophe Montenez, qui pour le cinéma laisse de côté le côté maniéré de son jeu théâtral). Le premier chapitre parisien de l’intrigue se clôture sur un drame qui fait voler en éclat la routine du jeune couple et cause une séparation aussi brutale qu’involontaire.
Un chapitre nouveau s’ouvre plusieurs années plus tard dans un nouveau décor. Direction l’île Maurice et une recrudescence de couleurs qui peut laisser penser que l’aspect sombre du récit est derrière nous. Mais celui-ci a d’autres moyens de recréer du drame. On commence alors à s’interroger sur le sujet du métrage. Le titre laisse penser à une histoire d’amour, possiblement adultérine, mais qui serait ici traitée moins du point de vue du vaudeville que du drame et du poids du secret et de la double vie. On pourrait aussi voir dans les retrouvailles inopinées de Lisa et Simon une réflexion sur le hasard qui nous guide vers les coïncidences les plus improbables.
Mais à mesure que le film se déploie, nous invitant à Genève et à une retour au nuancier de gris initial, et que l’étau semble se resserrer autour du jeune couple, avec une opposition frontale entre le personnage de Pierre Niney et celui de Benoît Magimel, dont chaque action ou réplique paraît avoir pour visée de nous le rendre un peu plus antipathique, la thématique amoureuse est de plus en plus corrélée à un autre sujet. On peut même se demander à quel point c’est conscient dans le scénario et la mise en scène, qui cherchent toujours à faire éclater la passion et à tendre comme un arc les rapports humains, menant inéluctablement au pire. Mais derrière les motivations amoureuses, chacun(e) des pointes du triangle amoureux n’est qu’un(e) égocentrique obsédé(e) par la possession. Celle de l’autre comme « conquête » amoureuse qu’on refuse de perdre, mais aussi celle d’un statut financier.
En effet, depuis le début, c’est la quête de l’argent qui détruit le couple, le pousse à prendre toutes les mauvaises décisions et à se mettre en péril. Mais par la suite, et le personnage de Stacy Martin ira le formuler très explicitement, l’argent devient indissociable des relations humaines, primordial même dans les choix amoureux des personnages. C’est lui qui complexifie et gâche toute possibilité de bonheur. Vivre « d’amour et d’eau fraîche » n’aurait-il pas été possible ? Conditionné(e)s par leurs normes sociales – ou par celles des auteur/trice du film –, les protagonistes n’envisagent jamais cette option, produisant une œuvre tendue et tragique où l’on ne peut acheter ni le bonheur ni d’échapper au pire.
Chère Léa
Après une nuit d’ivresse, Jonas décide sur un coup de tête de rendre visite à son ancienne maîtresse. Désormais séparé de sa femme, il aimerait reconquérir Léa, mais pour celle-ci c’est trop tard. Du café d’en face, Jonas entreprend de lui écrire une lettre…
Jérôme Bonnell a pris son temps pour revenir après À trois on y va, qu’on avait adoré en 2014 en dépit de ses menus défauts. Le cinéaste continue à tourner autour du genre de la comédie romantique, non pas cette fois en injectant la question du trouple et du polyamour mais en déplaçant le curseur après la relation sentimentale. De l’histoire entre Léa (Anaïs Demoustier), et Jonas (Grégory Montel), on ne verra rien, pas même un flashback, et on ne saura que très peu de choses par ce que les dialogues en disent. Comment et quand a eu lieu leur rencontre ? Combien de temps cette histoire a-t-elle duré ? Ce qui est sûr, c’est que la jeune femme s’est lassée de n’être pas la seule, et que la récente séparation de son amant d’avec son épouse (Léa Drucker) ne suffit pas à recoller les morceaux.
C’est pourtant bien l’ambition de Jonas lorsqu’il s’installe au café d’en face muni d’un stylo plume et d’une liasse de papier. Mais la question amoureuse se retrouve parasitée par la vie du petit bistrot, avec son patron, ses habitué(e)s loufoques, sans compter les coups de fil incessants qui dérangent Jonas dans son entreprise épistolaire. Le long-métrage mue vers la chronique de quartier, et s’allège par l’humour qui s’insinue dans les conversations entre le patron (Grégory Gadebois) et ses client(e)s. On se retrouve dans le principe de la « folle journée », à l’instar d’un Oh boy, où tout concourt à rendre chèvre le personnage masculin. Les vitres (du café, des fenêtres de chez Léa) deviennent un motif visuel central, avec de nombreux plans saisis à travers la devanture de l’établissement. On en arrive à un motif voyeuriste, mais sur un mode plus comique que chez Hitchcock ou De Palma. Lorsque Jonas s’infiltre dans l’appartement de son ex pour mieux entendre ce qui se trame avec l’homme qu’il interprète comme étant son rival (Pablo Pauly), on sent le goût du vaudeville du réalisateur revenir au grand galop, pour le meilleur. Les placements de caméras sont malins, l’usage des potentialités du logement bien trouvé : la réalisation jusqu’ici bien sage décolle un peu, et on ne boude pas notre plaisir.
On suit avec plaisir les pérégrinations des personnages, attachants quand bien même on ne saurait pas grand chose d’eux, même si parfois à force d’allers-retours on ne sait plus trop ou donner de la tête. Quelques révélations bien placées nous guide vers le pressentiment d’une chute qui n’apparaîtra pas explicitement, et c’est tant mieux. Bonnell tient sa ligne, le plus intense est ce qui ne se voit pas à l’écran, ce qui se trame hors-champ. L’idée est séduisante, quitte à ce que le résultat manque un peu d’émotions fortes.
Aline
Aline Dieu naît dernière d’une famille de 14 enfants, où la musique fait partie du quotidien. Dès son enfance, sa voix est remarquée par ses proches qui, à ses 12 ans, font parvenir une cassette à un imprésario, Guy-Claude Kamal…
Valérie Lemercier quitte son registre habituel de comédie pour un projet très attendu depuis des mois, un biopic qui ne dit pas son nom de la grande Céline Dion, rebaptisée Aline Dieu, la chanson de Christophe ayant remplacé celle d’Hugues Aufray dans le choix de son prénom.
Du biopic, le film a les codes et la construction narrative, chronologique depuis la rencontre des parents de la québécoise, à l’exception des plans d’ouverture et de clôture, centrés sur la chanson de Robert Charlebois « Ordinaire » et sa reprise par la diva sur scène. D’emblée, l’humour et la musique président à cette œuvre qui voit les choses en grand. Des décors pharaoniques comme l’immense demeure de Vegas, les plateaux de télévision et des spectacles, des dizaines et des dizaines de costumes reproduisant les tenues de scène de Céline Dion, et un grand nombre de personnages secondaires, de la famille Dieu à tout l’entourage artistique (bien que certains personnages aient été éludés à l’instar de Jean-Jacques Goldman). Pour rendre crédibles les séquences chantées, c’est la voix de Victoria Pétrosillo, repérée dans Le Roi soleil, qui rend les scènes très agréables à l’oreille (à défaut de reproduire la voix et le timbre spécifique de Céline). Avoir changé les noms des personnages permet quelques libertés tant dans l’écriture que dans l’interprétation : l’accent québécois est en grande partie gommé, et quelques anecdotes sont ajoutées pour tenter d’expliquer des faits réels ou pallier à des éléments trop intimes pour être connus (l’anecdote des patins à glace, ou celle de la bague de fiançailles).
L’ensemble est prenant, impressionne et séduit par sa qualité esthétique. C’est du vrai beau cinéma de divertissement, dans la lignée d’un Rocketman en un peu plus classique. On retrouve par touches dans l’écriture les capacités comiques de Valérie Lemercier, par exemple lorsque Guy-Claude redécouvre Céline après son changement de look (jusqu’au petit sparkle du sourire qui déclenche le rire dans la salle). L’intrigue, très centrée sur l’histoire d’amour entre Aline et son manager, fait preuve d’une forme de pudeur envers les protagonistes réels, avec une mise en scène très délicate de scènes intimes telles que la première nuit ou le décès de Guy-Claude, choisissant des astuces de cadrage et de montage pour ne pas trop en dévoiler. Il émane de ce travail un profond respect pour la chanteuse dont la vie est narrée, qui rend l’entreprise louable.
On sent que Valérie Lemercier aime Céline Dion, qu’elle l’admire et a voulu lui rendre un bel hommage. Le film fait donc preuve d’un certain sérieux dans son travail de reconstitution, en dépit des quelques libertés qu’il prend. L’ensemble met l’accent sur la vie extraordinaire d’une femme qui a aussi connu des épreuves données à tous et toutes dans sa vie privée : des conflits familiaux autour de son union, des soucis de santé l’affectant ou touchant ses proches, les difficultés à concevoir un enfant puis à concilier ses rôles de mère et de professionnelle.
Le casting est particulièrement notable pour ses prestations de haut niveau qui révèlent à la France des talents canadiens comme l’hilarante Danielle Fichaud ou le touchant Sylvain Marcel (sosie troublant de François-Xavier Demaison plus que de René Angelil) et mettent en lumière quelques frenchies tels que Jean-Noël Brouté dans le rôle de l’empathique maquilleur.
Le principal défaut du métrage, c’est son interprète principale. Qu’a voulu faire Valérie Lemercier en incarnant à elle seule Aline à tous les âges ? On pourrait penser à chacune de ses apparitions en gros plans que le métrage a une vocation parodique, ce que dément tout le reste du travail scénaristique et technique. Il en résulte un problème de ton permanent, où la plupart des scènes où l’héroïne est de face nous sortent de la narration avec un mélange de gêne et de comique. Sans dire qu’un(e) interprète doit absolument se grimer pour ressembler au personnage réel qu’il/elle joue, un minimum de cohérence dans l’âge du personnage aurait été à tout le moins bienvenu pour éviter ce décalage qui ne colle pas avec l’ensemble. Aline devient le point faible du film centré sur elle, paradoxalement. Pourtant, dans les scènes vraiment comiques, quelque chose fonctionne qui nous donne à rêver à ce qu’aurait pu être le métrage s’il avait vraiment tranché entre volonté de faire rire ou de faire hommage.