Boîte noire
Après un crash aérien, Mathieu, acousticien, est écarté du dossier. Mais face à l’absence inexpliquée de son supérieur, il lui revient de décrypter le son de la boîte noire de l’appareil, afin de confirmer ou non la thèse de l’attentat…
Le spécialiste du thriller tendu Yann Gozlan récidive avec Boîte noire, avec un milieu rarement montré au cinéma, celui de l’aéronautique. Les pilotes sont fréquents, les crashs aussi, mais jamais encore on n’avait vu un film mettre en avant le métier d’acousticien, spécialisé dans l’analyse des boîtes noires en cas de dysfonctionnement ou de crash. Un métier en apparence peu cinégénique puisqu’il s’agit de son dépourvu d’images, mais dont Yann Gozlan arrive à tirer le meilleur parti à l’écran.
Pierre Niney incarne un professionnel sérieux et appliqué, mettant à profit dans son travail son perfectionnisme et son intuition, mais aussi une particularité physiologique, une ouïe particulièrement développée. Comme le protagoniste du Chant du loup, « oreille d’or », Mathieu Vasseur est capable d’entendre des sons infimes et de les identifier. Mais contrairement au personnage incarné par François Civil, celui de Pierre Niney expérimente dans sa vie quotidienne les répercussions de son « don » : des crises d’hyperacousie lui vrille la tête régulièrement, l’obligeant à mettre aussitôt des protections auditives le plongeant dans le silence. Le travail du son et de l’image sont raccord pour nous faire éprouver le malaise du personnage, un accord des sens qui s’exprime tout au long du film.
L’esthétique froide des bureaux et élégante des intérieurs privés tend peu à peu à s’opacifier des ombres du thriller à mesure que la pression s’accroît. La tension monte par paliers, à mesure que le scénario révèle ses implications : paranoïa, complot, collusion des pouvoirs, trahisons, erreurs humaines ou matérielles non assumées, autant de pistes qui égarent le personnage dans sa quête autant que les spectateurs/trices. Pour nous plonger davantage dans la réflexion du personnage, des effets de mise en scène particulièrement réussis, tels que la reconstitution des faits pendant le trajet en avion, qui en fonction du point de vue adopté et des angles de caméra, révèlent de nouveaux éléments du puzzle, qui étaient bien présents mais sur lesquels l’attention n’avait pas été focalisée jusqu’alors.
Bien construit, malin, avec des trouvailles visuelles comme un retournement de caméra « aquatique », le film s’appuie à la fois sur son écriture fine et efficace, sur sa mise en scène et son esthétique léchées, et sur l’interprétation de Pierre Niney, totalement crédible dans ce rôle d’homme qui perd pied mais ne lâche rien. Résultat, on s’accroche à son siège et on va de surprise en surprise, en dépit de quelques procédés déjà vus, mais qu’on pardonne en compensation de scènes d’action qui tiennent la route. Quand l’investissement dans le jeu et la précision formelle sont au service d’un scénario bien pensé et pas dénué de profondeur, le divertissement est aussi plaisant qu’angoissant, prenant que pertinent dans ce qu’il dénonce. Un métrage qui ne devrait pas se crasher au box-office.
Mon légionnaire
Nika vient vivre en Corse pour suivre Vlad, son fiancé engagé dans un régiment de la légion étrangère dirigé par Maxime. L’épouse de ce dernier, Céline, engage Nika comme baby-sitter…
Après un premier long remarqué, le très chouette Baden Baden, Rachel Lang revient au cinéma avec un sujet qu’elle maîtrise : la vie militaire. Elle-même lieutenant réserviste, la réalisatrice choisit de s’attaquer à une branche particulière de l’armée puisqu’elle situe son scénario au sein d’un régiment de la Légion étrangère. Une unité réputée pour l’exigence de son engagement et le danger de ses missions, mais aussi qui a alimenté beaucoup d’histoires et de fantasmes sur le passé de ses soldats de toutes nationalités.
Mais ce n’est pas le propos du film, qui prend les personnages là où ils en sont sans s’attarder sur leur vécu en amont. On ne sait pas comment les couples se sont rencontrés, quelle a été leur vie avant, ce qui a conduit les hommes à s’engager en particulier dans ce corps de l’armée. Le scénario s’inscrit dans une forme de quotidienneté dans un présent immédiat, où les ellipses nous font passer sans ménagement d’une scène de dialogues entre épouses au champ de bataille sous le feu des balles.
Au cœur de l’intrigue, deux couples dans des situations bien différentes. Nika et Vlad ne sont pas encore mariés et le jeune homme a clairement affirmé qu’il ne voulait pas d’enfants. Pour la jeune femme, l’amour est la raison d’un déracinement qui l’entraîne en Corse où elle se retrouve seule et désœuvrée, sans autre but qu’attendre les permissions de son légionnaire (le titre du film renvoie au tatouage qu’elle se fait faire en bas des reins). Au contraire, Céline (Camille Cottin) et Maxime sont mariés depuis des années et parents d’un petit garçon. Ils ont déjà l’expérience de la distance et des angoisses liées aux missions, mais l’habitude ne rend pas forcément les situations plus simples.
Dès le premier plan, la caméra suit les femmes, et en particulier Nika. La jeune Ina Marija Bartaité, hélas tragiquement disparue cette année, irradie à l’écran, avec un mélange de juvénilité candide et de détermination. On ne peut que prendre fait et cause pour son personnage, et ainsi constater l’impossibilité d’être heureuse en compagnie d’un homme auquel l’armée donne une occasion de canaliser une violence qui s’exprime à domicile. Taciturne, sans tendresse, incapable de dialoguer, Vlad fait figure de repoussoir dans son attitude envers sa fiancée. Maxime (Louis Garrel) est plus nuancé, et ses conversations avec les ami(e)s du couple lui donnent la stature d’un chevalier blanc plein de bonnes intentions. Il n’empêche, même si le sujet n’est pas creusé, le questionnement sur le bien-fondé des opérations militaires est présent, que ce soit dans la bouche de personnages secondaires ou lorsque les légionnaires constatent l’extrême jeunesse des ennemis qu’ils combattent.
Si les scènes d’action ont tendance à ennuyer, sans doute aussi parce que les personnages masculins sont peu attachants, les scènes domestiques et en particulier les conversations entre les femmes ont un intérêt sociologique, qui va au-delà des clichés qu’on pouvait observer dans un Singing club. Les pressions sont multiples pour entrer dans le moule de la parfaite compagne de légionnaire, qui fréquente le « club des épouses », fait des enfants à son homme, évite les fréquentations qui pourraient faire jaser. Un vie « sous cloche » dont les avantages sont bien minces et que les protagonistes féminines remettent en cause chacune à leur niveau. On aurait adoré que Rachel Lang aille plus loin et assume une vraie critique de l’institution, mais à défaut, le métrage a le mérite de dévoiler l’incompatibilité fondamentale entre la vie de la légion et la vie de famille.
Ils sont vivants
Veuve d’un policier alcoolique et violent, conditionnée à la peur de l’étranger, Béatrice découvre l’intérieur de la jungle de Calais et décide d’y devenir bénévole. Elle rencontre Mokhtar, un Iranien à la bouche cousue…
Pour son premier long seul à la réalisation, Jérémie Elkaïm s’est lancé dans un projet porté par Marina Foïs, l’adaptation libre de l’histoire de Béatrice Huret, qu’elle a raconté dans le récit Calais mon amour. Cette ancienne sympathisante FN a tourné sa veste en tombant amoureuse d’un migrant de la jungle de Calais.
À l’écran, la brune aide-soignante est devenue la blonde Marina Foïs, qui paraît moins comme une militante d’extrême-droite, les positions politiques n’étant jamais abordées en tant que telles, que comme une femme qui fût soumise à l’opinion de son entourage et en particulier celle de son défunt mari, caractérisé par sa haute taille, sa violence et son alcoolisme. Une figure d’ogre qui n’apparaît que sous la forme de son cercueil, comme une ombre que sa veuve ne pleure pas, et envers laquelle le comportement de Béatrice peut sembler une vengeance post mortem.
C’est la rencontre accidentelle avec un migrant perdu sur le parking de l’hôpital où elle travaille et qu’elle manque d’écraser qui conduit Béatrice à s’aventurer dans la jungle, où elle semble prendre conscience d’une réalité qu’elle ne percevait jusqu’alors que par des poncifs véhiculés par ses proches. Derrière « les Noirs et les Arabes » tels qu’elle les caractérise maladroitement, se révèlent des personnes au destin complexe, à l’instar des Iraniens à la bouche cousue. Mais aussi des bénévoles qui prennent de leur temps pour les aider (on repère notamment Lucie Borleteau et Laetitia Dosch).
S’il n’est pas manichéen dans le portrait des migrants et des bénévoles, le film l’est un peu plus dans l’évolution de Béatrice, qui tourne rapidement sa veste au point de confronter ses ami(e)s. Mais la prestation de Marina Foïs transcende les maladresses d’écriture pour donner du réalisme et de l’authenticité à cette femme que la vie n’a pas épargnée et qui, en aidant les autres autrement que dans sa profession d’aide-soignante, déjà fondée sur l’empathie et le soin, trouve son propre épanouissement. L’altruisme et l’égoïsme sont interrogés par la relation qui se noue entre elle et Mokhtar, ce réfugié qui rêve, comme tant d’autres, de l’Angleterre. Si la réalisation n’est pas toujours remarquable et signifiante, le rapprochement entre les deux est réussi, et on peut souligner la scène d’amour engageante sans être voyeuriste.
Petit à petit, le film se tend pour nous faire subir l’inquiétude de Béatrice pour celui qu’elle aime et qui veut à tout prix accomplir son périple. L’attachant Seear Kohi réussit à nous prendre d’intérêt pour le destin de son personnage, et si le film ne restera pas forcément en mémoire d’un point de vue cinématographique, l’histoire qu’il raconte a de quoi marquer les esprits.
Les intranquilles
Damien et Leïla ont en apparence tout pour être heureux, une belle maison, un petit garçon adorable, mais Damien est atteint d’un trouble psychologique qui rend le quotidien épuisant pour son entourage…
Avec Joachim Lafosse, on s’attend toujours à un sujet dur abordé sous l’angle du drame. Après l’adaptation de Continuer, axée sur le rapport mère-fils, le réalisateur belge revient à son goût pour les couples dysfonctionnels, cette fois en s’inspirant de sa propre enfance auprès d’un père maniaco-dépressif. La bipolarité n’est nommée que très tardivement dans le film, comme pour laisser aux spectateurs/trices le temps de s’interroger sur ce qui perturbe le quotidien, à la manière d’Amin, l’enfant du couple (Gabriel Merz Chammah, le fils de Lolita Chammah) qui n’a pas forcément tous les codes pour saisir ce qui se joue.
Pourtant on ne peut pas dire que la caméra se place à hauteur d’enfant, ce qui aurait été une perspective intéressante. Elle oscille plutôt entre les personnages, sans adopter de point de vue précis. C’est peut-être ce qui manque, un vrai parti-pris qui nous permettrait de nous glisser dans la peau soit du malade soit de ses proches, alors que nous restons toujours à mi-chemin entre les deux.
En fait de bipolarité, on voit surtout les moments de surplus d’énergie qui empêchent Damien (Damien Bonnard) de dormir et font de lui un hyperactif insomniaque qui s’adonne à toutes sortes d’activités : bateau, natation, cuisine, mécanique, et surtout peinture, son activité principale. On peut applaudir le travail de préparation de l’acteur qui a lui-même dû se préparer pour accomplir toutes ces tâches de façon réaliste, ce qui n’est pas forcément moins complexe que de jouer les états d’énergie intense comme ceux d’asthénie engendrés par les médicaments.
Construit avec une progression logique dans la dégradation de l’état d’abord du protagoniste masculin, puis du personnage de son épouse (Leîla Bekhti), par contrecoup à tout ce qu’elle a dû endurer, le film explicite son pluriel ; l’intranquillité de Damien déteint en quelque sorte sur son entourage, qui vit dans la crainte de sa prochaine crise. Instructif sur le quotidien auprès d’une personne bipolaire, le projet aurait pu être un documentaire de ce point de vue. Il n’est pas sûr que la fiction lui apporte grand chose de plus, en tout cas on peine à vraiment s’impliquer en dépit de l’investissement manifeste du casting.
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