Les Olympiades
Alors qu’elle cherche une nouvelle coloc, Émilie se laisse séduire par Camille. Mais lorsqu’il décide de ne plus coucher avec elle, les règles changent dans l’appartement. Pendant ce temps, Nora reprend des études de droit à Tolbiac…
Une comédie de Jacques Audiard. D’emblée, le projet a de quoi surprendre. C’est sur l’instigation de Céline Sciamma que le cinéaste découvre les bandes dessinées de l’Américain Adrian Tomine, et que tous deux décident d’adapter un scénario. La réalisatrice de Portrait de la jeune fille en feu tire de trois histoires courtes un récit mettant en scène des voisin(e)s qui se croisent et se rencontrent au sein d’un même quartier. De New York, un(e) tour de passe-passe nous entraîne dans le treizième arrondissement, quartier des Olympiades.
Ce Paris-là est contemporain à plus d’un titre. En dépit de son très beau noir et blanc qui se veut quelque part entre Rohmer et Woody Allen dans l’élégance des pérégrinations sentimentales, le film est ancré dans notre époque. À travers ses quatre personnages principaux, un homme et trois femmes, il dresse le portrait d’une génération, celle des 25-35 ans qui se cherchent, sur tous les plans. Professionnellement, aucun parcours en ligne droite à l’horizon, entre reprise d’études, pause dans un emploi stable, suite de petits boulots, auto-entreprise… Humainement, des rencontres, entre des personnages d’horizons divers (le quartier est certes cosmopolite), animés d’une même soif de plaire et d’être aimé(e).
Le marivaudage peut débuter, sur un ton bien différent de celui du XVIIIe où les punchlines cyniques ont remplacé les charmants atermoiements. En 2021, quand on aime, on fait genre de ne pas s’attacher, on se paye de théories sur l’attraction, on s’enferre dans des histoires qui ne comblent pas nos vrais désirs. Dans tous leurs défauts, leurs faux-semblants, les personnages co-écrits par Sciamma, Audiard et Mysius sont terriblement attachant(e)s. Parce qu’on a tous/tes moyen de se retrouver dans une situation, un trait d’esprit, une déception. Mais aussi parce que les interprètes apportent au film la fougue de leur jeunesse, et l’authenticité de leurs propres parcours, qui nourrissent un récit jamais figé, toujours en mouvement, qui a vu ses plans les plus marquants naître presque à l’improviste (par exemple la scène onirique où Em entre en dansant dans le restaurant). En face à face (Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant), ou chacune derrière sa caméra (Jehnny Beth et Noémie Merlant), les personnages se cherchent, les un(e)s les autres mais surtout eux/elles-mêmes. Car c’est aussi un film sur le regard, celui qu’on porte sur soi, que les autres portent sur nous, et en quoi tous ces regards, parfois tendres, parfois moqueurs, parfois cruels (il est question de harcèlement à l’université), peuvent nous faire évoluer.
Plus en filigrane, des thématiques familiales viennent nourrir la richesse psychologique des protagonistes, donnant l’impression de réalité qui nous fait comme entrer dans l’intimité de nos voisin(e)s, apprendre à connaître les gens derrière les visages qu’on peut croiser en bas de chez soi sans les identifier (et la mise en scène prend un malin plaisir à faire circuler les personnages en arrière-plan des histoires des autres).
C’est beau, c’est à la fois frais et chaud dans ses scènes d’amour, acide et idéaliste, réaliste et romanesque. Audiard nous emmène là où on ne l’attendait pas, et ma foi, c’est peut-être ce qu’il a fait de mieux.
Une histoire d’amour et de désir
Ahmed entame son année de lettres à la Sorbonne. Il est abordé par Farah, une étudiante tunisienne fraîchement débarquée à Paris. Ils ont en commun un cours de littérature érotique arabe…
Pour son deuxième long, la réalisatrice franco-algérienne Leyla Bouzid est revenue sur un épisode marquant de sa propre jeunesse : son arrivée en France pour y faire ses études à la Sorbonne. Il serait vain de chercher d’autres éléments autobiographiques dans le film, mais ce point de départ lui permet de mettre en présence deux personnages qui ont d’abord en commun les cours qu’il et elle ont choisi.
Une rencontre amoureuse sur les bancs de l’université, quoi de plus classique ? Mais l’écriture surprend en renversant les codes attendus. Qui a dit « l’homme propose, la femme dispose » ? Certainement pas Ahmed ni Farah, qui ne correspondent pas aux stéréotypes de genre sur la féminité douce et la masculinité virile. La réalisatrice a voulu parler de celles, et surtout ceux, que le cinéma montre peu et qui ont pourtant besoin de représentation. En l’occurrence, des jeunes hommes qui n’ont pas forcément une aisance folle avec leur corps, leur voix en public, et leurs rapports à l’intimité. Ahmed est ainsi : timide lorsqu’il faut lire devant toute la salle, mal à l’aise face à l’assurance de Farah, empêché de passer à l’acte par un mélange d’éducation, d’idéal et de contradictions. Tous les personnages masculins font preuve de fragilités et de nuances, du père qui finit par avouer des années plus tard la souffrance qu’il a trimballée avec lui depuis son départ d’Algérie en passant par le bon pote rigolo qui assume son inexpérience sexuelle.
Les femmes, au contraire, sont fortes et déterminées. Elles n’ont pas peur face aux hommes, vont aborder ceux qui leur plaisent, en envoient bouler, comme Dalila (Mahia Zrouki) ceux qui voudraient dicter leur conduite. Zbeida Belhajamor irradie à l’écran, d’une sensualité assumée et joyeuse, conférant à son personnage le goût pour tous les plaisirs de la vie, y compris littéraires. C’est bien ce qui, avec Ahmed, les réunit. Car lui se réfugie dans les textes, ceux qu’il écrit et ceux qu’il lit, lui ouvrant les horizons qu’il peine à débroussailler dans le réel. Le film rend un hommage vibrant à la richesse de la poésie arabe et de la littérature érotique, une image bien loin de la vision de la civilisation arabe répandue aujourd’hui. Mais il donne aussi le goût des livres et des mots au sens large, avec ses jeunes gens qui s’offrent des livres, s’écrivent des lettres, s’envoient des poèmes comme d’autres des textos. Sans être anachronique, le film évolue dans son propre univers, qui ne choisit de garder que la douceur, jamais l’adversité. L’ennemi, s’il existe, est en nous-même, dans les barrières qu’on se met et les limites qu’on se fixe.
Récit d’apprentissage au masculin, d’émancipation des codes et d’acceptation de soi, Une histoire d’amour et de désir peut compter sur la retenue de Sami Outalbali (aux antipodes de son personnage de série même s’il s’agit toujours d’éducation sexuelle), la flamboyance de Zbeida Belhajamor, et la beauté de plans travaillés pour mettre en valeur l’importance de l’écrit, des mots et les ponts que les arts peuvent créer entre des individus qui peine à se comprendre. Beaucoup d’élégance dans la forme comme dans le propos, jusque dans la représentation des sujets délicats tels que la vie en banlieue ou la sexualité des jeunes.
Délicieux
Pierre Maceron, cuisinier apprécié du duc de Chamfort, se trouve renvoyé pour avoir osé présenter des amuse-bouche non demandés au menu à la pomme de terre. Il se réfugie avec son fils dans un relais de poste où il reçoit la visite de Louise, qui veut devenir son apprentie…
Après Le goût des merveilles, Éric Besnard est définitivement un réalisateur porté sur la bonne chère. Ici, point de tartes aux poires mais une ribambelle de recettes Grand Siècle pour nous mettre l’eau à la bouche avec l’histoire, certainement romancée, de la création du premier restaurant. Mais les points communs avec ce film antérieur sont présents : le retour de Benjamin Lavernhe, ici en gourmet détestablement suffisant, mais aussi de la province, d’un milieu rural et agricole. Manceron vient de la terre, et les matières premières qu’il travaille, il sait les cueillir, les chasser ou les pécher. C’est d’ailleurs sa première leçon à Louise, lorsqu’elle devient son apprentie : il faut savoir se salir les mains.
L’expression « cuisine du terroir » correspond assez bien à ce que le film met en avant avec ce personnage qui peut paraître rustique, mal dégrossi, mais qui fait en réalité preuve de plus d’amabilité et de finesse que les nobles méprisant(e)s. Grégory Gadebois sait bien incarner les types bourrus qui ont bon fond, et ce rôle ne fait pas exception. S’il est obstiné, il n’arrive pas sur ce point à la cheville de Louise, le personnage d’Isabelle Carré. Dans une intrigue relativement balisée, elle est celle qui apporte un peu de sel et de mystère, et quelques révélations bien senties qui réveillent les papilles. Le tandem fonctionne avec une certaine alchimie, reléguant les personnages secondaires quasiment au rang de figures parlantes.
Avec un budget modique, le film réussit tout de même à avoir une certaine allure dans la reconstitution historique, avec un décor évolutif qu’on prend plaisir à voir s’améliorer au gré des idées du duo (enfin surtout de Louise, qui font figures de private jokes pour le public d’aujourd’hui), comme on aime améliorer sa maison dans un jeu de simulation. La partie chez les nobles est moins agréable, tendant à tomber dans la surenchère et le grotesque (n’est pas Amadeus qui veut dans ce registre).
Le plus plaisant, c’est le cœur du sujet : la nourriture. Les sauces en train d’être montées, les pâtes en cours de pétrissage, le jaune d’œuf mis à dorer, les légumes émincés et les natures mortes à la Chardin constituent la principale attraction du métrage, et la plus inédite quelque part, en dépit de quelques poncifs, malgré tout bien exécutés (la scène de reconnaissance des goûts, vue dans Chère Martha par exemple, celle de l’incendie des produits qui rappelle Les Vendanges de feu entre autres).
Sans faire date, Délicieux laisse une saveur agréable, un petit goût de revenez-y.
Entre les vagues
Alma et Margot, deux amies qui rêvent de théâtre, passent la même audition. Alma obtient le rôle du seul en scène, et Margot est choisie comme doublure. Le rêve pour les deux jeunes femmes, mais la santé d’Alma lui fait défaut, l’empêchant de poursuivre son rêve…
Venue du théâtre et passionnée par l’hybridation des formes artistiques et des supports, Anaïs Volpé retrouve cette tendance dans son premier long-métrage, au titre énigmatique. La cinéaste s’offre le plaisir d’écrire une pièce de théâtre incluse dans son film, un seule en scène dont les deux protagonistes visent le rôle. In medias res, nous sommes plongé(e)s dans leur audition où elles décident de monter toute une fausse bagarre pour attirer l’attention. Et à raison, puisqu’elles réussissent à obtenir, pour l’une le rôle, pour l’autre le statut de doublure. Une situation qui aurait pu déclencher une rivalité, mais pas entre Alma et Margot. Déborah Lukumuena et Souheila Yacoub, toutes deux fortes d’expériences théâtrales, incarnent avec énergie et une vitalité débordante cette paire de comédiennes rivées l’une à l’autre par une amitié indéboulonnable. Anaïs Volpé s’est attachée à combattre le cliché des aspirantes actrices qui seraient prêtes à se déchirer ou se pourrir pour leur carrière. Ici, l’amitié passe avant tout.
C’est ce postulat qui donne au film sa puissance émotionnelle. La beauté de la relation entre les deux femmes, faite de joie de vivre, de rires, de sorties, mais aussi de travail en commun pour réussir sur scène, est la source de notre bouleversement lorsqu’on comprend, avec Margot, qu’Alma lui a caché un grave secret relatif à sa santé. D’une chronique parisienne nocturne, pleine de strass et de paillettes, on tombe dans le drame absolu de voir une jeune femme promise à un brillant avenir perdre peu à peu son énergie vitale à mesure que la maladie l’emporte. Pour Margot, dont on adopte largement le point de vue, il faut à la fois être présente aux côtés de son amie et poursuivre le travail avec la metteuse en scène… tout en faisant miroiter à Alma l’espoir de remonter sur les planches.
Tout l’équilibre instable du métrage revient alors à gérer ce grand huit émotionnel, en nous faisant passer du sourire aux larmes. Les lumières s’adoucissent, les strass colorés et les lumières de la ville cèdent la place au doré doux du costume de scène, comme pour symboliser l’amitié en or qui unit les deux interprètes du rôle. De Paris au New York fantasmé sur scène, de la vie à l’au-delà, les deux femmes accomplissent ensemble un voyage dont l’intérêt réside moins dans la destination que dans le chemin. Un parcours qui est celui d’une « vraie rencontre », érigée en pivot de leur vie, au-delà de leurs relations amoureuses (et c’est un postulat qui fait plaisir à voir).
Débordant de vie, avec une caméra au plus près de ses héroïnes, aussi troublée (le flou n’est pas qu’un effet de style) et bouillonnante qu’elles, Entre les vagues peut retourner ou agacer par son exubérance, mais il ne laissera sans doute pas indifférent(e).
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