Festival du Film Francophone d’Angoulême – CE2, Petite Nature, La vraie famille

CE2

CE2

À la récré, Kévin embête Claire, lui vole son goûter, réclame ses billes ou un baiser, soulève sa robe… La petite fille en parle à sa mère, qui décide de régler cette histoire de harcèlement…

Jacques Doillon revient aux affaires trois ans après son Rodin avec un film dont le titre annonce assez bien le programme réaliste : c’est en effet à hauteur d’enfants que le cinéaste place sa caméra, afin d’observer les soucis du quotidien dans une classe de CE2 et autour de l’école, dans les ruelles anciennes de Billom, Puy-de-Dôme. Le scénario démarre par une banale histoire de compétition de billes à la récré, qui a donné lieu à un contentieux entre deux élèves. Mais derrière une dispute en apparence anodine, qui vire au racket, les implications diverses se dévoilement progressivement, à mesure que la parole se libère chez les enfants et que les adultes se retrouvent impliqués. Petit à petit, le long-métrage permet d’aborder la question du harcèlement scolaire, mais analyse aussi les rapports de pouvoir et les amitiés au sein d’un groupe d’enfants à l’écart du regard des adultes. Puis, en faisant entrer les parents et le corps enseignant dans la danse, on prend conscience des problèmes sous-jacents dans l’éducation et le système, qui ont pu créer une situation favorable au harcèlement.

Sur le papier, la démonstration a de quoi être passionnante. Dans les faits, le résultat à l’écran coince un peu. D’abord, parce qu’il y a une opposition fondamentale entre la tentative de naturalisme esthétique qui se veut quasi-documentaire dans la façon de filmer le quotidien scolaire et les enfants à l’abri du regard des grand(e)s, et des petit(e)s acteurs/trices qui visiblement récitent leur texte, avec fort peu de spontanéité. C’est toujours excessivement compliqué de filmer l’enfance dans sa vérité pure, quelques-un(e)s y sont parvenu(e)s – de L’Argent de poche à Tomboy –, mais ici le résultat des scènes dialoguées reste assez artificiel. On a du mal à vraiment adhérer à l’évolution des rapports entre les enfants, à y croire. Comment des copines pourraient-elles aussi peu soutenir leur amie en situation de harcèlement ? Pourquoi une petite fille harcelée serait-elle encline à devenir si facilement amie avec son agresseur ? Il manque dans l’écriture quelque chose du sérieux de l’enfance, qui ne prend pas ses propres affects à la légère et pour qui, au contraire, tout revêt une importance capitale, amitiés et inimitiés inclues.

Ceux et celles qui tirent le mieux leur épingle du jeu, ce sont les adultes, à commencer par Nora Hamzawi, qui trouve ici son meilleur rôle, celui d’une mère qui doit élever seule sa fille pendant les absences du papa, militaire en opération, et qui tente à la fois de la soutenir par ses démarches et de lui apprendre à devenir forte par elle-même. La complicité entre elle et la petite Roxane Barrazuol est ce qui fonctionne le mieux et donne lieu aux scènes les plus touchantes et cocasses. Quant à Alexis Manenti, il poursuit sur sa lancée des personnages peu recommandables avec ce rôle de père incompétent qui donne une mauvaise image à son fils, quand bien même il essaierait de lui apprendre des choses et de faire de son mieux. Plus habituée aux planches, Doully Millet s’offre ici le rôle de mère indigne avec un certain panache dans la déchéance (en particulier dans le dialogue autour du fusil).

Si on comprend bien que les harceleurs puissent souvent se trouver chez les enfants en souffrance, qui ont pu être eux-mêmes victimes d’abus ou d’une éducation sans cadres, le film n’a pas peur de trop en faire sur le sujet, quitte à glisser sous le tapis la responsabilité des instances scolaires. On en vient presque à une question de lutte des classes entre la petite Claire fille de militaire qui joue du piano dans sa jolie maison et le pauvre Kévin avec sa mère alcoolique et son père qui vit dans un chantier inachevé. Pourquoi pas, mais à trop vouloir démontrer l’importance du contexte, on finirait presque par occulter les mécanismes propres du harcèlement et la variété des causes et situations possibles.

Petite nature – compétition

Petite Nature

Lorsque son nouvel instituteur demande aux enfants leur rêve d’avenir, Johnny, 10 ans, est pris au dépourvu. C’est qu’il a déjà beaucoup à penser au présent avec sa petite sœur dont il s’occupe en l’absence de leur père, la mère étant souvent alcoolisée…

Après avoir fait un passage très remarqué à Cannes, Petite nature arrive en compétition à Angoulême. Le Lorrain Samuel Theis, pour la première fois en solo à la réalisation (il s’est fait accompagner à l’écriture par Gaëlle Macé), choisit de tourner à Forbach, dans la région qui l’a vu grandir, un film librement inspiré de sa propre enfance et de sa prise de conscience qu’il allait quitter son milieu d’origine. 

Transposé à l’écran, c’est le parcours du jeune Johnny (Aliocha Reinert, formidable de gravité), que l’on découvre au sein d’un quartier populaire, dans un quotidien marqué par la débrouille nécessaire. Père absent, mère empêtrée dans ses histoires de cœur et d’alcool, peu d’espace pour rêver, au point que lorsque son nouvel instituteur le questionne sur son futur et ses loisirs, tout ce que l’enfant trouve à répondre est « m’occuper de ma petite sœur ». Dévoué, sérieux, contrairement à l’aîné Dylan, Johnny est celui sur lequel tout le monde se repose pour faire les choses bien. Être un bon fils et un bon frère, un bon élève, un bon catholique, un petit « ange » comme sa mère le décrit (et en cela le choix d’un jeune acteur au physique androgyne avec sa longue chevelure naturellement platine n’est pas anodin). 

Mais la rencontre avec le nouveau « maître » marque un tournant. Antoine Reinartz trouve ici encore – après La Vie scolaire – un rôle d’enseignant tourmenté, mais pas par les mêmes démons. Ici, le jeune prof est agréablement surpris par ses élèves, plutôt sages et disciplinés, et apprécie son métier au quotidien et la ville dans laquelle il a été muté. Mais comme souvent les enseignant(e)s au cinéma, il se laisse déborder par un élève qui sollicite de lui qu’il dépasse les limites admises de sa profession. On pense à Primaire ou Un beau dimanche  avec ce professeur des écoles confronté à une forme de misère sociale, et désireux d’aider ses élèves à s’en sortir, quitte à faire plus que ce qu’il doit. Peu à peu, la fascination de l’élève pour l’adulte évolue, se muant non seulement en une admiration intellectuelle mais en une attirance physique. S’il est plaisant de constater au détour d’un dialogue que l’orientation peut être un sujet de conversation sans a priori entre des ados/préados, il y a bien un interdit, celui du désir envers un adulte, qui plus est représentant de l’autorité. Jusqu’où le petit Johnny ira-t-il pour repousser les limites, solliciter l’attention et tenter d’échapper à sa famille ? Au-delà de l’attitude douce et bienveillante du prof, il y a tout le milieu qu’il incarne, avec sa compagne (toujours un plaisir de retrouver Izïa Higelin) : un univers intellectuel où la culture et les arts (photo, poésie…) ont toute leur place. 

Sensible et à fleur de peau, filmé avec délicatesse mais sans fausse pudeur sur l’entrée dans l’adolescence, Petite nature séduit par sa finesse et les interprétations empathiques de l’ensemble du casting. 

La vraie famille – compétition

La Vraie Famille

Anna élève en plus des deux fils qu’elle a eus avec Driss le petit Simon, placé chez eux depuis ses un an et demi. Mais le père du petit garçon, ayant fait le deuil de son épouse, manifeste l’envie de récupérer la garde de son enfant…

Après Diane a les épaules, Fabien Gorgeart revient derrière la caméra avec un film inspiré par le quotidien de son enfance : il a lui-même grandi dans une famille qui accueillait des enfants placé(e)s. C’est sans doute cette expérience de vie qui lui permet d’écrire un film à l’angle rare, qui s’interroge sur la fin d’un placement. Que se passe-t-il lorsque, sur décision de justice, un enfant placé doit quitter la famille dans laquelle il a grandi depuis des années ? 

Une question qui soulève des implications évidentes, notamment concernant « l’intérêt de l’enfant » lui-même, mais aussi les répercussions sur ses parents biologiques, si toujours vivants, et sur son/sa référent(e) dans la famille. Mais le scénario s’intéresse aussi aux enfants de la famille d’accueil, qui cohabitent au jour le jour avec celui qui peut être considéré comme un frère… pour un temps. Avec acuité, l’écriture analyse les implications de chaque décision et révèle la complexité de ce lien qui unit un enfant à une famille. Pour autant, si la caméra s’installe parfois à hauteur d’enfants, elle s’intéresse aussi de près aux adultes. 

C’est l’occasion pour Mélanie Thierry de bouleverser dans un grand rôle de mère de substitution dépassée par l’amour qu’elle porte à cet enfant qu’elle a élevé comme les siens. Petit à petit, celle qui semble très à cheval sur les règles et professionnelle au départ, quand elle refuse que Simon participe à une activité jugée risquée, se laisse submerger par ses sentiments au point d’enfreindre les règles et de prendre des risques. À l’instar de My Zoé récemment, mais avec plus de subtilité, le film de Fabien Gorgeart interroge les frontières de l’amour maternel. L’actrice brille dans ce rôle de mère éperdue, prête à tout pour l’enfant qu’elle n’a pas porté. 

Face à elle, Félix Moati trouve aussi une belle partition de veuf en quête d’une reconstruction familiale. D’un milieu plus modeste et dépourvu des codes de la parentalité, Eddy constitue pourtant un personnage attachant dans sa volonté de recréer le lien avec son enfant. Personne n’a tort, personne n’est le/la méchant(e) de l’histoire : tout ce qu’on voit, filmé avec empathie, ce sont des personnes bienveillantes envers Simon et qui désirent son bonheur… sans avoir pour autant la même conception de celui-ci. 

Au milieu de cet imbroglio, il y a cette fratrie dynamique que la caméra suit avec force mouvements virevoltants pour accompagner leurs jeux, leur joie de vivre dans une famille où l’inventivité, l’expression de ses émotions et l’esprit collectif sont largement valorisés (en témoigne le numéro « de cirque » du père de famille – Lyes Salem, dans un rôle plus en retrait mais touchant). 

Sans avoir la prétention d’être plus qu’une chronique familiale interrogeant la notion de « vraie famille », ce long-métrage émeut et secoue, quand bien même il se laisserait un peu embarquer par le bouleversement qu’il veut susciter. Un prix pour Mélanie Thierry dans ce rôle ne serait en tout cas pas de trop.

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