« Promising Young Woman » : the last laugh

Le jour, Cassie, 30 ans, est serveuse dans un café et vit toujours chez ses parents. La nuit, elle traîne dans les clubs, en attendant qu’un homme s’enquière de cette jeune femme apparemment ivre morte…

Après avoir fait ses armes comme showrunneuse de la série Killing Eve (saison 2), l’actrice Emerald Fennell passe à la réalisation avec le concours de Margot Robbie à la production, séduite par la détermination de la cinéaste. Pas facile sur des thématiques aussi dures que les violences subies par les femmes et le désir de vengeance de faire un film divertissant ou du moins qui sache mêler les tonalités. Il y avait bien un précédent : le très réussi Assassination Nation, qui parvenait déjà à nous amuser et nous enthousiasmer autant qu’il nous mettait la rage au cœur et donnait l’envie de tout casser. Emerald Fennell surfe sur cette façon d’esthétiser l’horreur de la réalité, et choisit un côté pop plus « girly » que Sam Levinson. En effet, le travail conjoint de Benjamin Kracun à la photo, Michael Perry aux décors et Nancy Steiner aux costumes contribue à faire du film une sorte de bonbonnière, à laquelle s’ajoute la bande-son truffée de tubes de chanteuses comme Britney, Paris Hilton… Des bibelots vintages de la maison des parents de Cassie aux petits gâteaux flashy qu’elle dispose en vitrine, en passant par ses pulls doudous et sa manucure pastel multicolore, on coche les cases de ce qui est attendu chez une fille. Mais plutôt chez une enfant que chez une adulte, ce qui est une façon à la fois de signifier que Cassie a été empêchée d’évoluer après des événements traumatiques, mais aussi de contribuer à créer ce personnage à l’humour si particulier.

Écrit pour Carey Mulligan, le rôle lui donne l’occasion de révéler une palette de jeu inédite. Cassie est une jeune femme terriblement attachante du point de vue des spectatrices : une amie fidèle par-delà les épreuves et les drames, une personne intelligente, avec un sens de la répartie détonnant, et une ironie à toute épreuve qui s’exprime jusque dans le morceau qui clôt le film, « Last Laugh ». Mais malgré sa détermination, elle n’est pas surhumaine et il peut lui arriver de commettre des erreurs ou de se laisser aveugler par ses émotions, ce qui contribue à nous la rendre plus proche. Par sa complexité et sa richesse, et par les mille petits détails que le film prend la peine de nous donner à voir d’elle (par exemple la façon de glisser autour de sa main le vieux chouchou qui tient fermé son carnet), elle incarne plus encore que la « jeune femme prometteuse » du titre (qui peut d’ailleurs aussi renvoyer à son amie Nina).

À l’opposé de Cassie, inoubliable de singularité, les hommes du film sont essentiellement présents pour faire réfléchir sur leur positionnement et leur rôle dans la société patriarcale. L’introduction du film, qui montre le rituel de Cassie face à différents individus masculins, donne l’occasion de passer en revue plusieurs stéréotypes. L’écriture insiste surtout sur la déconstruction du mythe du « nice guy » (expression qu’un des hommes emploie pour parler de lui-même mais qui pourrait aussi se rapporter à d’autres personnages du film). On le connaît tous/tes, ce type qui se pose en victime face à la rébellion féministe, qui gémit volontiers « not all men » et souhaiterait qu’on lui reconnaisse un statut d’allié ou de sauveur. Il peut prendre la figure du chevalier servant ou du prince charmant, mais sous le masque, il demeure une part – généralement largement consentante – du système inégalitaire et oppressif, ce que le scénario démontre habilement.

Film de vengeance plus que de rébellion, Promising Young Woman se construit après une longue introduction comme une tragédie en quatre actes. On peut se douter d’une partie de la résolution, mais ce qui importe, c’est le chemin pour y parvenir. Ce chemin passe par plusieurs personnages du passé de Cassie, qu’elle vient confronter dans des entretiens quasi-maïeutiques (au sens platonicien du terme). La vengeance de Cassie n’est pas aussi physiquement violente qu’on aurait pu l’envisager, elle vise surtout à faire éprouver aux coupables et aux complices la souffrance morale et psychique qu’ils et elles ont pu causer. L’expression dit « que la honte change de camp » ; elle n’a jamais été aussi bien illustrée.

Sa vengeance, Cassie doit la mener seule. Car la critique du système patriarcal ne va pas sans une mise en évidence des fautes des institutions. D’une part, les grandes écoles dont on sait que les campus et autres fraternités sont si souvent le théâtre d’atrocités (on pense bien entendu à l’affaire de Stanford). D’autre part, le système policier et judiciaire, qui ne commence à se soucier des violences faites aux femmes que lorsque celles-ci ne sont plus là pour en témoigner – les féminicides et les plaintes pour viols classées sans suite s’accumulent dans les médias chaque semaine. Jusqu’au bout, le film tient sa ligne, celle d’un problème global où, même si des prises de conscience individuelles peuvent survenir (à l’image du personnage de l’avocat joué par Alfred Molina), l’attitude dominante reste celle d’une connivence masculine.

En adoptant le point de vue de Cassie, le scénario met en exergue les solidarités féminines, sous la forme de l’amitié entre la serveuse et sa patronne, Gail (on salue l’emploi de Laverne Cox), et de la démarche de l’héroïne pour venger sa meilleure amie d’enfance, dont elle n’ôte jamais le pendentif en symbole du souvenir toujours vivace, qui s’exprime aussi lorsqu’elle a l’occasion de parler des qualités de Nina. Or, toutes les femmes ne sont pas des soutiens, certaines s’étant alliées à un système patriarcal dont elles ont l’impression de tirer profit, à l’instar de Madison ou Mme Walker. La dernière partie permet un renversement qui montre à l’œuvre les solidarités masculines, fondées sur deux principes : un respect de base des pairs, a fortiori lorsqu’ils exercent une profession au moins aussi diplômée et rémunérée (ainsi lorsque l’inspecteur vient interroger Ryan), et une négation farouche de toute responsabilité (le nombre d’occurrences d’expressions pour se dédouaner comme « on était des gamins », « tu n’as rien fait », « je suis un mec bien » est impressionnant).

S’il a pu surprendre dans sa chute, le premier long d’Emerald Fennell est pourtant brillant de bout en bout. Esquivant toute facilité d’une fin trop heureuse ou qui ne colle pas à l’intelligence supérieure de sa protagoniste, le scénario nous donne à voir la marge de manœuvre extrêmement limitée des femmes face à une société qui ne daigne apercevoir les torts qui leur sont faits que quand les preuves matérielles sont plus que flagrantes. Et encore, en évitant toute scène de procès, le métrage se garde bien de crier victoire. Chaque arc narratif est une façon de démonter nos faux espoirs, un rire ironique lancé à la face du monde, un jeu de qui perd gagne terrible parce que conforme à la réalité.

Partenariat Cinétrafic.

La fiche du film sur Cinétrafic : https://www.cinetrafic.fr/film/60206/promising-young-woman

En DVD, Blu-Ray et VOD le 25 août chez Universal Pictures France (FB, Twitter).

Bonus : passionnant commentaire d’Emerald Fennell qui explicite les choix de casting même pour les personnages mineurs et analyse les décors et accessoires signifiants à l’écran, pastilles sur la transformation de Carey Mulligan, l’univers du film et sa tonalité.

 

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