Pauline, 17 ans, décide d’aider Suzanne, une ancienne voisine, à avorter. Elle se brouille avec ses parents et devient choriste pour gagner de l’argent. Suzanne se retrouve seule avec deux enfants à charge…
Avec ce double portrait de femmes, que l’on suit de 1962 à 1976, Agnès Varda s’autorise une réflexion au long cours sur l’évolution de la place des femmes. Le métrage débute l’année de Cléo de 5 à 7, film qui dépeignait une jeune chanteuse apparemment libre mais pourtant empêchée par ses relations (au public, à son amant, à ses musiciens) de trouver une sérénité qui ne s’accomplissait qu’en avouant ses angoisses à un inconnu sur le départ. En 77, la cinéaste mesure le chemin accompli à travers les évolutions de deux jeunes femmes. Pauline a 17 ans en 1962, et veut être chanteuse (comme Cléo). Elle vit dans un milieu en apparence assez aisé, qui lui permet de ne pas être confrontée à la précarité. Jusqu’à son intérêt pour Suzanne, 22 ans, une ancienne voisine prise au piège d’une relation avec un homme marié, qui ne la rend pas heureuse mais qu’elle aime, et dont elle attend un troisième enfant, peinant déjà à subvenir aux besoins de Marie et Mathieu. La mélancolie, l’inquiétude, font partie de la vie de Suzanne, et Pauline va les apprendre à son contact. Mais elle va aussi lui transmettre de sa détermination.
L’une chante, l’autre pas, comme l’indique le titre, l’amitié entre les protagonistes repose sur leur opposition. Suzanne (Thérèse Liotard) est brune aux cheveux lisses, d’un milieu modeste, mère, et bientôt seule. Elle est solitaire, rêveuse, mélancolique au début du métrage. Pauline (Valérie Mairesse) est rousse aux cheveux bouclés, d’un milieu aisé, encore jeune et célibataire. Elle est optimiste, battante, ne s’en laisse pas compter. Qu’est-ce qui les unit ? Le mystère de la sororité d’abord, lorsque Pauline décide d’intervenir pour accompagner Suzanne dans son avortement. Puis peu à peu, une correspondance faite de cartes postales évoquant les grands événements de leur vie. Et comme parfois on peut en être étonné dans les amitiés de jeunesse qui durent, les deux femmes finissent par percevoir dans leurs parcours des similitudes.
S’il débute sous le signe du drame social, le métrage, raconté par la voix off d’Agnès Varda en alternance avec les confessions de Pauline et Suzanne, se mue peu à peu en une fresque militante pour les droits des femmes. Le droit d’aimer qui on veut, de tout quitter par amour, ou de quitter un homme voire une famille avec enfants pour s’épanouir dans ses propres projets. Le droit de vouloir rester seule aussi, de refuser les liaisons avec des personnes qui ne sont pas libres, d’élever des enfants en solitaire ou en communauté. Le droit de cumuler des emplois ou de cesser de travailler, d’être créative ou travailleuse sociale, de se réinventer. Les chansons de Pomme, interprétées par le groupe féminin Orchidée, offre des interludes visuels mais aussi une mise en mots claire et poétique des thématiques du film.
On s’attache à ces deux héroïnes du quotidien en quête d’émancipation et de sororité, et on prend plaisir à suivre leurs pérégrinations, de Paris à Soissons en passant par Hyères et même l’Iran. On retrouve les thématiques socio-politiques de l’époque, la vie bohème en groupe, la remise en question des institutions telles que le mariage, le combat pour l’accès à la pilule et à l’avortement. Au fil des années qui passent, le scénario prend l’allure d’un passage de témoin entre générations, avec l’importance croissante de Marie, la fille de Suzanne, incarnée par la fille d’Agnès Varda elle-même. Il souffle un vent de fraîcheur et de liberté sur ce film qui pourtant ne cache jamais la difficulté à assumer des choix de vie qui puissent différer de la norme dominante. On y retrouve la facétie d’Agnès Varda, l’aspect naturaliste quasi documentaire, de grands destins de femmes, des tragédies aussi, le mélange des émotions, dans un équilibre particulièrement réussi.
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