« Black Book » : le camp du bien n’existe pas

Pendant la Seconde Guerre mondiale en Hollande, Rachel décide de passer en Belgique lorsque sa planque est détruite. Elle retrouve ses parents et son frère sur le bateau mais des SS débarquent et liquident tous/tes les passagers/ères, sauf Rachel qui parvient à se cacher dans l’eau…

Après une longue période américaine qui lui a apporté autant de scandales que de reconnaissance, Paul Verhoeven rentre au pays pour la création d’un projet qui lui tient à cœur depuis vingt ans. Avec Gérard Soeteman, le scénariste de ses premiers longs-métrages, ils ont gardé sous le coude un arc narratif envisagé pour Le soldat orange qui n’avait pu y trouver son développement. En s’inspirant de témoignages et de mémoires d’ancien(ne)s résistant(e)s et collabos, les deux hommes déploient un scénario historique complexe qui, en co-production internationale, devient tout de même le film néerlandais le plus cher de l’Histoire.

Après ses premières œuvres historiques, Verhoeven trouve ici l’occasion d’utiliser la toile de fond de la Seconde Guerre mondiale, dont les combats ne sont jamais présents à l’écran et qui se centre uniquement sur la vie à l’arrière, pour une œuvre-somme qui rebrasse toutes les grandes thématiques de son cinéma.

On y retrouve bien sûr la critique des corps armés, cette fois-ci avec la présence de gradés allemands de la Gestapo, mais également de l’argent qui pourrit tout, l’intrigue démarrant avec l’assassinat de riches Juifs dépouillés de leurs biens par les nazis. À qui profite ce crime ? C’est la question fil rouge du film, qui anime la protagoniste de bout en bout. Car une fois encore Verhoeven centre son œuvre autour d’un personnage féminin fort, ici Rachel-Ellis, qui lutte avec ses (ch)armes pour dépasser la condition que la société lui assigne. Contrairement à une Keetje Tippel ou à une Nomi, Rachel a vécu dans l’opulence bourgeoise, mais en tant que Juive, la guerre fait d’elle une femme à abattre, et la richesse de sa famille une raison de plus de la supprimer. Carice Van Houten incarne avec une énergie de chaque instant cette femme qui ne se laisse jamais abattre, portée par sa soif de justice envers les siens. L’intelligence, le courage et le cœur de ce personnage en font une vraie héroïne, non sans nuances et contradictions mais avec un respect qui impose l’impossibilité de la condamner pour ses choix. Mais comme souvent chez Verhoeven, une femme forte et créative est vouée à l’isolement, les hommes mourant violemment autour d’elle (la scène « ça ne s’arrêtera donc jamais » rappelle furieusement la confession de Catherine Tramell). Il faut dire que le scénario semble rappeler à chaque instant un fait que tout le cinéma de Verhoeven se plaît à mettre en lumière : on ne connaît jamais le vrai visage d’une personne, chacun(e) recèle des secrets, des facettes sombres, et pourrait se révéler capable de trahison.

À l’écran, Black Book est une fresque visuellement splendide, qui a conservé de la période américaine du cinéaste la capacité à employer les grands moyens pour offrir des images fortes, tant dans les fastes que dans l’ordure et la crasse. Certains plans de fêtes au QG des Allemands ressemblent à la lecture que Zemeckis proposera de cette même période historique dans Alliés, autre vision de la guerre sous le signe de l’espionnage et de l’aventure. Car il n’est pas besoin de montrer le front pour créer une œuvre tendue, bardée de rebondissements et de traîtrises, de retournements de situation et de morts violentes.

Extraordinairement efficace dans le rythme et l’agencement des pièces du puzzle, l’écriture est aussi étonnamment nuancée pour une peinture de cette période souvent réduite au manichéisme. Il fallait oser présenter la face sombre aussi bien de la Résistance (que ce soit pendant la guerre ou à la libération), mais aussi la lâcheté des Alliés qui ont laissé le commandement allemand exécuter ses sentences même une fois destitué. Il fallait aussi une audace certaine pour faire d’un couple juive-allemand créé par intérêt stratégique une romance sincère, crédible et émouvante. Il faut saluer l’écriture du personnage de Müntze mais aussi la prestation impeccable de Sebastian Koch, habitué à incarner les nazis mais qui ici incarne le personnage masculin le plus humain.

Dans cette vision très sombre voire nihiliste de l’Histoire, la force vitale de la protagoniste emporte tout sur son passage. Verhoeven a tiré les leçons de l’échec critique de Showgirls pour équilibrer parfaitement son récit, entre horreurs du monde et lumière de l’instinct de survie.

 

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