Alfaro et Velarde font équipe à la Crim de Madrid. L’un est grande gueule et bagarreur, l’autre bègue et méticuleux. Alors que la ville se prépare à la visite du Pape à l’été 2011, ils enquêtent secrètement sur un tueur et violeur de vieilles dames…
Alors que leur série Antidisturbios a été récemment diffusée, revenons sur la précédente confrontation de Rodrigo Sorogoyen et sa co-scénariste Isabel Peña avec le monde policier. Troisième long du réalisateur, Que Dios nos perdone est le premier à être parvenu jusqu’à nos écrans français, à une époque friande du renouveau du genre du polar. En effet, le film espagnol se place entre les épisodes de la quadrilogie danoise des Enquêtes du département V et quelques mois avant Le Caire Confidentiel, des œuvres avec lesquelles il partage une ambiance très sombre, des crimes particulièrement atroces, une analyse de la société à travers ceux-ci et une remise en cause des figures policières.
Le plan d’ouverture, sur une rue madrilène, nous laisse entrevoir une femme âgée tirant son caddie de courses ainsi qu’une voiture de police, au milieu d’une certaine effervescence. Tout est déjà là, sous nos yeux, juste avant que l’on rencontre les principaux protagonistes, le duo d’enquêteurs Velarde/Alfaro, qui comme dans beaucoup de fictions policières, fonctionne grâce à des compétences très différentes et complémentaires qui sont le reflet de leurs deux tempéraments. Alfaro est d’emblée présentée comme l’élément problématique du commissariat, sur la sellette après s’être battu avec un collègue qu’il a laissé sérieusement amoché quelques mois plus tôt. Bourrin, hâbleur, sans finesse, le flic incarné par Roberto Álamo est une version du cliché du type violent dont on se demande comment on peut lui octroyer le droit de porter une arme. À ses côtés, Velarde (Antonio de la Torre) a l’air plus posé, avec son bégaiement et sa façon d’épouser le corps des victimes pour trouver des indices. Good cop/bad cop, ce serait vite résumé, mais la réalité est bien plus tordue et complexe, comme toujours chez Sorogoyen, adepte des personnages aux passés troubles et aux zones d’ombre marquées.
Caméra à l’épaule, le cinéaste suit son tandem dans le début d’une enquête qui se heurte aux circonstances : ces meurtres précédés de viols de femmes âgées, ayant en commun leur fréquentation régulière des églises, tombent mal alors que le mois d’août caniculaire est pris en étau entre le déferlement de jeunes chrétien(ne)s pour les JMJ, la venue du Pape étant imminente, et les manifestations des Indigné(e)s. Pas de vague est le mot d’ordre, mais la pression silencieuse commence à rendre fous les hommes : les deux binômes de policiers se tapent dessus et tentent de se piquer les enquêtes, Alfaro vit mal l’éloignement de sa femme et de son fils, partis en vacances, et Velarde est pris d’une attirance brutale pour la technicienne de surface de son immeuble.
Dans sa deuxième moitié, le film bascule plus avant dans la noirceur : plus stylisée, la violence devient graphique là où elle était plus brouillonne et latente dans la première partie. On en vient à comprendre que les policiers ne sont pas bien différents de l’homme qu’ils traquent : eux aussi ont des problèmes avec la gent féminine et des pulsions de violence qu’ils ne parviennent pas à contenir. Qu’est-ce qui les oppose finalement à leur serial killer, au-delà de l’uniforme (si tant est qu’on ne leur retire pas) ? La violence est partout, nul n’en est à l’abri, et alors que les scènes de traque de plus en plus tendue se rapprochent, que l’étau se resserre, Sorogoyen nous offre dans le dernier tiers le portrait du tueur, qui n’est pas moins humain que ceux qui le traquent. L’ambiance sordide nous poisse au regard, le titre devient d’une terrible ironie à mesure que les détails de la vie du tueur nous sont révélés. Cynique et d’un réalisme cru, l’écriture au cordeau de Sorogoyen et Peńa fait mouche dans ce triple portrait d’hommes désertés par leur humanité.
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