Après le décès de sa grand-mère, Nelly découvre la maison où sa mère a grandi, qu’il faut désormais vider. Dans le bois juste derrière, elle fait une rencontre surprenante : Marion, 8 ans, c’est-à-dire sa mère enfant…
Avec Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma faisait résonner le film d’époque avec les enjeux de notre temps. Petite Maman est comme une façon de s’en abstraire au contraire. Les enfants ont cette faculté à occulter l’époque, à prendre au sérieux un temps qui leur est propre, celui du jeu, le fameux « on dirait qu’on serait ». C’est dans un espace-temps de ce genre que nous plonge le film, mais pas tout de suite. D’abord il faut advenir à ce raccordement temporel qui n’est ni un voyage ni un souvenir.
Au commencement, comme souvent dans les fables et les contes, il y a un drame. C’est avec pudeur que la cinéaste évoque la perte. L’absence de la grand-mère, ce n’est pas juste une chambre vide. C’est la chambre vide d’un couloir dont les autres sont encore habitées. Tout est histoire de coexistence, déjà. Comment bien dire au revoir, c’est l’une des questions centrales du film, que toute personne ayant perdu un(e) proche s’est forcément posée. En général, on n’a pas le droit à une deuxième chance (sauf dans About time, qui est sans doute un des longs-métrages trouvant le plus d’échos avec celui-ci). C’est ici que la magie du cinéma intervient.
La magie, chez une réalisatrice qui a toujours filmé le réel au plus près, au plus juste, en particulier chez les enfants et adolescent(e)s, ne se pare évidemment pas de grands artifices. C’est un élément du quotidien que l’on n’attendait pas mais que l’on accueille. Visuellement, il ne faut espérer aucun effet. C’est la même maison, la même forêt. Les mêmes tenues intemporelles et non-genrées des mêmes enfants. La même lumière dorée qui joue dans les feuilles d’automne et les mêmes ombres au pied du lit, ou presque. La magie, ce n’est pas la photo de Claire Mathon qui la crée, c’est le montage de Julien Lacheray. On éteint la lumière de la chambre, et on est demain sur le lieu du rendez-vous tant attendu. Céline Sciamma cite Miyazaki, et c’est sans doute dans son inspiration qu’elle puise cette faculté de défaire le fantastique de tous ses attributs, de simplifier, d’épurer, jusqu’à ne laisser que l’humanité de la rencontre, aussi improbable soit-elle. Parfois on trouve Totoro endormi en se promenant dans la forêt derrière chez soi, parfois on trouve sa mère enfant, c’est comme ça. Cette fatalité dans l’acceptation a quelque chose de reposant et de réconfortant. De même que ce n’est pas la venue de l’enfant qui crée la tristesse maternelle, ce n’est pas l’irruption de l’impossible qui soulève des questions. Nelly et Marion vivent cette expérience, qu’elles perçoivent unique et éphémère, comme une possibilité qui leur est offerte et dont il faut profiter. Entre la mère et la fille, la gémellité de Joséphine et Gabrielle Sanz instaure un rapport égalitaire. Après les conversations du soir et rites auprès des brasiers de Portrait de la jeune fille en feu, c’est une autre forme de partage et de communauté féminine qui s’instaure. Pour chacune, fille unique, c’est l’opportunité d’abord de trouver une camarade de jeux, dans des scènes d’un naturel qui nous ramène à cette vision du monde si spéciale de l’enfance, où rien n’est sans importance. À mesure que la complicité se crée, les questions du monde du dehors sont évoquées, pour tenter d’y répondre ensemble. C’est le concret non-magique de la vie qui apporte les interrogations, celui où l’on a peur que les parents partent pour ne plus revenir, qu’ils ne soient pas heureux à nos côtés.
Si leur temps de présence à l’écran est réduit, Nina Meurisse et Stéphane Varupenne trouvent ici des rôles inédits dans leurs parcours. On n’attendait ni l’une ni l’autre dans des partitions si empreintes de douceur, de tendresse quotidienne en dépit du chagrin. On a beau entendre les reproches à-demi voilés de l’enfant, habituée à ne voir sa mère qu’à l’heure du coucher et à parler à un père inattentif, on n’a aucune envie de les juger. Parce qu’ils laissent leur petite aventurière vivre sa grande aventure, qui au-delà de partir à l’assaut de l’étang de Cergy, consiste à ouvrir son cœur, à voir ses parents non seulement comme des parents, mais comme des êtres qui ont gardé sous leur enveloppe corporelle grandie le cœur de l’enfant qu’ils ont été.
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