Montparnasse
Dans le quartier Montparnasse, deux sœurs décident de renoncer à leur séance de cinéma pour discuter, un jeune homme et son beau-père évoque la femme qui les relie, et une femme assiste à un concert…
Les longs-métrages de Mikhaël Hers nous ont habitué(e)s à une grande subtilité dans l’évocation des sentiments humains, souvent avec la confrontation de ses personnages à des étapes marquantes et complexes comme le renoncement à ses rêves de jeunesse ou la perte d’un proche. Avec Montparnasse, moyen-métrage d’une heure « à sketches », le cinéaste propose une déambulation nocturne dans le quartier parisien éponyme, dont les personnages s’entrecroisent. Trois prénoms féminins ponctuent le récit, deux présentes encadrant une absente, autour de trois thématiques majeures : la difficulté à trouver sa place dans le monde, le deuil, la rencontre amoureuse. Mais par le biais des conversations, chaque segment étant constitué d’une discussion entre deux personnes qui marchent, sont aussi présents les rapports de sororité, d’amitié ou entre générations. Si le casting du segment central sur le deuil est connu (Thibault Vinçon, Didier Sandre, Lolita Chammah), les personnes présentes dans les autres parties le sont moins, ce qui permet un réalisme d’autant plus grand, l’impression que nous suivons de façon presque documentaire de vraies personnes et pas « Untel en train de jouer ». L’effet de réel très présent est renforcé par le fait d’avoir choisi, comme plus tard dans Memory Lane, que la musique soit composée par le vrai groupe qui apparaît dans le film. La singularité de la composition du film, de son sujet aussi (même si d’autres quartiers de Paris ont pu inspirer des cinéastes, comme le prouve encore le nouvel Audiard, Les Olympiades), permet de s’immerger en douceur dans la vie du quartier à travers ses habitant(e)s, d’entrer comme par effraction silencieuse dans des moments intimes, fragiles, où les cœurs s’ouvrent. L’écriture est ciselée, d’une remarquable finesse, et les interprétations sur le fil, empreintes de grâce. Un grand film en dépit de sa durée restreinte.
Vilaine fille, mauvais garçon
Dans une fête Laëtitia rencontre Thomas. Elle doit s’occuper de son frère atteint d’un trouble psychologique, lui vit avec son père et son grand-père dans un petit appartement encombré…
Au premier abord, le deuxième court-métrage de fiction de Justine Triet aborde des thématiques assez communes au cinéma français : des personnages un peu perdus dans leur existence, assez déprimés et névrosés, se rencontrent lors d’une soirée alcoolisée. Vont-ils conclure ? Mais au-delà de ce pitch simpliste, se surimpriment des éléments que la cinéaste a développé dans la suite de sa filmographie : l’inadaptation d’une femme aux codes sociaux (le comportement du personnage de Laetitia Dosch dans la fête faisant penser à son personnage dans La bataille de Solférino ou à celui de Virginie Efira dans Victoria), l’incapacité à assumer une vie d’adulte rentrant dans les codes pour Thomas, l’appartement rempli de bric-à-brac, marque de fabrique de ses décors. En réalité, le film s’inspire de la vie de l’acteur Thomas Lévy-Lasne, par ailleurs peintre et dessinateur, dont certaines œuvres apparaissent à l’écran, mais aussi de plusieurs de ses œuvres réalistes, en particulier autour du thème de la fête. Ce côté méta apporte un plus à l’ensemble, lui donne de la personnalité là où sinon on se contenterait d’un film bien joué, malin, mais déjà vu.
La règle de trois
Louis vient chercher son ami Vincent à la sortie de l’hôpital Saint-Anne. L’homme s’attendait à ce que son ex-compagne Céline soit présente, et Louis n’a pas le cœur de le laisser seul. Il l’amène donc à son rendez-vous avec Marie…
Troisième court-métrage de Louis Garrel, La règle de trois est celui qui préfigure son passage au long, installant des thématiques et créant le triangle d’acteurs/trice (Louis Garrel, Golshifteh Farahani, Vincent Macaigne) que l’on retrouve dans Les deux amis. On comprend d’ailleurs mieux les faiblesses de ce film si on le perçoit comme une version longue d’un film auquel suffisaient les 17 minutes du court. En effet, ce laps de temps convient assez bien pour le projet de montrer les relations entre les trois protagonistes, ainsi qu’une absente, l’ex de Vincent. Louis aime Marie, mais a peur qu’elle le quitte. Vincent aime Céline, mais elle l’a déjà quitté. Louis aime aussi Vincent, comme ami, et tente d’être là pour lui et de le soutenir même s’il est insupportable. Marie aime Louis, et voudrait qu’il laisse un peu de distance avec Vincent pour se consacrer davantage à leur couple. Louis n’aime pas Céline, puisqu’elle a fait du mal à Vincent. Mais Marie a l’air de comprendre que Céline soit partie. Tout cela transparaît à travers des dialogues où les personnages se comprennent mal, tentent de mener deux conversations de front, monologuent en parallèle, chacun(e) poursuivant son idée. Relativement antipathique, tout ce petit monde amuse par ses atermoiements, une certaine ironie planant sur l’ensemble. Le cadre parisien avec ses jardins et ses bancs vintage, et la délicieuse musique d’Alex Beaupain contribuent à faire passer un agréable moment.
Le marin masqué
Laetitia et Sophie sont parties en vacances à Quimper chez le père de Laetitia. Les deux amies se remémorent ce voyage, durant lequel un ancien amour de jeunesse a ressurgi…
Pour son deuxième court, Sophie Letourneur, désormais bien connue depuis le succès d’Énorme, fait appel à son amie Laetitia Goffi, qu’on retrouvera devant la caméra dans Gaby Baby Doll et derrière en tant que première assistante sur La vie au ranch. Les deux jeunes femmes nous embarquent dans une virée à Quimper qui a des airs de Conte d’été, mais sur un ton plus comique que rohmérien. Pourtant, on a bien le bord de mer, des personnages mi-figue mi-raisin qui ont des humeurs et des atermoiements sentimentaux, un peu égoïstes et immatures. En noir et blanc agrémenté de vignettage et d’ouvertures à l’iris qui lui donnent un certain cachet, le film a pour lui deux ressorts comiques principaux, rarement usités. Le plus évident est l’emploi particulier des voix off, celles des deux filles, qui racontent le récit rétrospectivement en même temps qu’il se déroule sous nos yeux, allant jusqu’à en redoubler les dialogues dans une certaine cacophonie. La narration est l’occasion de décrire ce qu’on voit pour en souligner l’aspect décevant (« j’étais sur le canapé avec mon père et il ne me parlait pas ») ou pour régler quelques comptes (« ça m’avait beaucoup vexée »). Plus subtil, l’usage de la musique, tournant en boucle sur des variations du thème de « Words », le standard interprété classiquement par F.R. David. Les notes finissent par nous faire pouffer dès qu’elles réapparaissent, tuant dans l’œuf l’éventuelle prise au sérieux des histoires sentimentales des protagonistes. Il faut dire que le fameux « marin masqué » du titre, sous les traits d’un Johan Libéreau en beauf bien imbibé, n’est pas vraiment à la hauteur des attentes du souvenir, de quoi gentiment se moquer du bouleversement qu’il a pu provoquer.
Votre commentaire