Quinquin vit une enfance heureuse entouré de ses cinq sœurs, de sa mère, de sa grand-tante et de la religieuse qui tient la maison, mais surtout dans l’admiration de la figure paternelle. Héctor Abad Gómez est un docteur en médecine convaincu de l’importance des mesures sociales…
Il y a des livres qui marquent tellement un(e) cinéaste que celui/celle-ci souhaite aussitôt les adapter. Et il y a ceux dont on se dit qu’on les estime trop et qu’ils sont trop riches pour supporter la transposition de l’écrit à l’écran. Fernando Trueba a tellement adoré L’Oubli que nous serons qu’il l’a offert à tout son entourage, sans jamais songer à en faire un film. Jusqu’à ce que la famille d’Héctor Abad et des producteurs colombiens viennent lui en faire la demande.
Le cinéaste espagnol s’est donc attaqué bravement à cette œuvre qui lui paraissait inadaptable, en en sélectionnant deux époques : celle que l’on découvre initialement, dans les années 83-87, qui correspond au retour de Turin de l’auteur du récit et son enfance dans les années 70. Paradoxalement, c’est la période la plus récente qui apparaît en noir et blanc, les souvenirs d’enfance d’Héctor Joaquín étant imagés en couleurs dans des teintes particulières, comme nimbées d’une lumière caramel. Les tons chauds, vifs et saturés correspondent à une ère dorée de la vie du jeune garçon, et si les décors et tenues retranscrivent fidèlement la réalité d’une époque, cette luminosité particulière semble donner à l’ensemble l’aspect d’un rêve éveillé.
Le passage d’une époque à l’autre est très inventif et travaillé, notamment lors de la toute première immersion dans l’enfance de Quinquin, à travers un rouleau de carton qui fait lunette vers le passé. De manière générale, le travail technique est très élaboré et en même temps assez discret, toujours au service de la narration et des émotions suscitées. On remarque à peine le plan-séquence pour suivre le petit garçon dans les pièces de la maison, jusqu’à la fenêtre qui lui permet de guetter les arrivées, ou les séquences de caméra embarquée dans la voiture. Car tous ces procédés ont pour effet de nous immiscer dans la famille comme si nous en étions un membre supplémentaire, l’objectif se faisant le regard qui passe d’un visage à l’autre, contemple la quiétude joyeuse ou l’excitation enfantine avec une tendresse familière. Le casting colombien compose une sororité unie au milieu de laquelle Héctor Joaquín junior vit choyé, et l’acteur espagnol Javier Cámara prête ses traits à Héctor père, avec lequel sa ressemblance est saisissante. L’ensemble est une résurrection crédible et sentimentale d’une époque bénie pour la famille, où le père fait office de figure de proue, entraînant ses enfants dans son goût de la vie, son attention aux autres, son engagement. Cette figure de père héroïque au quotidien fonctionne comme un talisman pour les enfants et en particulier son fils, qui serait prêt à plonger dans les flammes de l’Enfer pourvu que ce soit à ses côtés.
L’hommage vibrant au médecin change de tonalité dans la partie concernant la période plus récente. La situation en Colombie s’est tendue, et un drame a ébranlé la joie de la famille. Quinquin est parti étudier à Turin, comme pour s’éloigner de la double emprise de la figure tutélaire et du chagrin. Mais les événements le contraignent à rentrer alors que son père est licencié de l’Université pour des raisons politiques. Le discours social prônant l’amélioration des conditions de vie dans les quartiers pauvres et plus de liberté ne plaît pas à tout le monde, et la violence prend hélas le dessus sur la bonté. C’est dans la tragédie que l’œuvre se termine, celle de la réalité noire qui finit par avaler le rêve coloré de l’enfance, celle d’un monde où les héros sont considérés comme des menaces par des intérêts bien moins purs. Fernando Trueba a mis son cœur à l’ouvrage pour rendre hommage à Héctor Abad et à ses proches, et l’investissement émotionnel parvient jusqu’aux spectateurs/trices dans cette fresque familiale touchante.
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