Witold et Fuchs cherchent un logement dans un village après avoir quitté Varsovie. En chemin, ils trouvent un cadavre de moineau pendu dans un buisson. Puis ils louent une chambre chez une famille sympathique mais un peu bizarre…
Dernier roman de Witold Gombrowicz, paru cinq ans avant sa mort, Cosmos, avec son titre poétique et mystérieux, revient sur un épisode de la jeunesse d’un personnage constituant un double de l’auteur. Comme lui, le narrateur s’appelle Witold, a grandi à Varsovie, et a étudié le droit. Mais visiblement sans grand succès, ce qui lui a causé des démêlés avec ses parents et l’envie de quitter sa vie à leurs côtés pour s’installer ailleurs avec Fuchs, un camarade qui a lui trouvé un emploi. Les deux jeunes hommes sont assez mélancoliques, Fuchs étant très angoissé par ses relations professionnelles avec son supérieur qui ne le déteste de manière épidermique et fait de son quotidien une longue souffrance. Quant à Witold, on ne sait pas exactement ce qui dans sa conduite a causé de telles dissensions familiales, mais on perçoit en lui une fragilité et de sérieux problèmes de concentration. Cela se traduit à la fois dans les éléments racontés, notamment l’incapacité à rester à son bureau dans la chambre pour étudier tranquillement, mais aussi dans la forme du récit.
Le narrateur précise bien qu’il va raconter rétrospectivement une histoire qui lui est arrivée, et le récit est linéaire dans l’ensemble, mais saturé par la tempête qui s’agite sous le crâne de Witold, faite d’acharnement sur des détails, d’une capacité d’observation vigilante qui cherche des signes partout et des symboles incompréhensibles dans les éléments qui l’entourent. Tout commence donc avec ce moineau, qui introduit le thème morbide de la pendaison, qui ressurgit à intervalles réguliers. Mais c’est également la cicatrice au coin de la lèvre de la domestique, Catherette, qui fait naître le thème des bouches, par comparaison avec celle de Léna, la jeune fille de ses hôtes qui fascine Witold. L’attraction érotique se confond peu à peu avec la pulsion morbide, et le jeune homme semble perpétuellement tiraillé entre un désir qu’il peine à clairement exprimer, même rétrospectivement dans le texte, et une émotion de dégoût qu’on pourrait envisager comme l’expression d’une éducation rigoriste condamnant la sexualité, ce qui se confirme lorsqu’il s’embarque dans une expression à mots couverts avec le père de famille sur ce sujet.
Il faut dire que la famille Wojtys n’est pas non plus totalement habituelle dans son fonctionnement et ses comportements. En apparence bien sous tous rapports, ils et elles ont leurs petites manies et leurs grands secrets. Léon confectionne des boulettes de pain à table, chantonne au milieu des phrases et invente des mots à consonance latine, quand il ne déblatère pas sur son passé d’employé de banque. Sa femme est surnommée Bouboule (quand ce n’est pas Bou-bou-bou-bouloche ou autre extension) et se plie en quatre pour le bien-être de la maisonnée, à condition de pouvoir bien le faire remarquer, et érupte en crises de nerfs inattendues. Le couple Léna et Lucien se tient digne et sage en apparence, mais chaque infime frémissement des doigts sur la nappe au dîner est pour Witold l’occasion de leur imaginer tous les vices.
Plongée dans un univers qui dérape et un esprit troublé, Cosmos crée un réseau de coïncidences pour en faire une nouvelle logique du monde, qui pourrait pousser son narrateur à toutes les extrémités pour confirmer sa compréhension absurde. Le produit est un texte poisseux et déroutant qui crée le malaise.
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