Festival Chéries-Chéris 2021 – « Je m’appelle Bagdad »

Bagdad, 17 ans, vit avec sa mère et ses sœurs dans un environnement très féminin. Mais dehors, elle fait du skate avec les garçons du quartier, parmi lesquels elle se fond sans se faire remarquer. Jusqu’à sa rencontre avec des skateuses…

C’est une toute petite niche du cinéma, et pourtant elle existe : les films de skate ont une ambiance particulière, comme on avait pu l’observer avec le puissant 90s de Jonah Hill. La réalisatrice brésilienne Caru Alves de Souza a elle aussi choisi de s’intéresser au skate dans son deuxième long-métrage, Je m’appelle Bagdad. Et, comme Jonah Hill, elle compose un casting qui met en lumière de jeunes skateurs/euses qui n’étaient pas des professionnel(le)s du cinéma avant son film, à commencer par Grace Orsato dans le rôle-titre.

Au moment du tournage, la jeune fille pratique le skate depuis environ un an, et on peut constater à l’écran que sa pratique est un apprentissage. Il y a une forme de joie et de fierté qui transparaît à chaque figure réussie, une admiration manifeste envers les plus doués des garçons de son crew, mais aussi une fragilité, une prise de risque à chaque tentative, parfois soldée d’échec, qui confèrent au personnage un potentiel parfait d’héroïne de récit d’apprentissage.

Et c’est l’essence même de ce film, sous des dehors de chronique du quotidien. En dépit d’un aspect presque documentaire dans les séances de figures ou dans les conversations au salon d’esthétique où travaille la mère de Bagdad, on est bien dans la fiction. Les choix de cadrage et de montage ne mentent pas, Caru Alves de Souza rend cinégénique le plus banal des moments de vie, par exemple avec le choix de plans fixes. Dans la première scène de skate, Bagdad filme au caméscope ses camarades qui s’entraînent. Et deux caméras offrent deux angles de vue complémentaires : d’une part, un plan assez documentaire sur le groupe parmi lequel on repère la jeune fille ; d’autre part, un plan fixe au-dessus du bitume de la rue vide. Le saut y traverse l’espace de l’écran, la planche s’envole, les pieds en décollent. On est en plein dans la fiction qui magnifie le réel, tout comme Bagdad qui a cette propension à sortir de ce quartier précaire de Sao Paulo pour créer tantôt un documentaire mettant en avant un ami de sa mère, vieil homosexuel en pleine chimiothérapie qui craint que tout le monde oublie son existence après sa mort, tantôt un combat imaginaire au ralenti dans lequel elle est un lion capable de vaincre les garçons.

Bagdad évolue dans deux univers où la question de l’expression de genre est centrale. D’un côté, entourée des femmes de sa famille, avec deux petites sœurs que tout oppose : Joseane aime se maquiller et rêve de plaire aux garçons, elle a envie de vivre libre et pour elle cela signifie séduire qui elle veut et s’amuser, tandis que la petite Bia a un objectif très clair, aller explorer la planète Mars. La famille incarne la pluralité des destins féminins, et l’entourage de la mère de Bagdad ajoute le prisme LGBT+ avec le tandem Emilio-Gilda, un homme gay et une femme trans. De l’autre, Bagdad s’est choisi ce pseudo pour évoluer dans un groupe de garçons parmi lesquels elle constitue un pote comme les autres, du moins le croit-elle. Car elle ne rebondit pas sur les remarques sexistes, et l’alcool aidant, retrouve son statut féminin aux yeux d’un de ses camarades, qui en omet tout respect. Être une femme, même avec un look androgyne, c’est subir la volonté de domination des hommes, sous toutes ses formes : moqueries, menaces, exclusion, attouchements ou agression…

La rencontre avec un groupe de skateuses fait prendre conscience à Bagdad de la liberté d’être pleinement elle-même qui lui manquait au contact des garçons. Et la fin du film offre un parfait exemple de la puissance de la sororité face à la lâcheté individuelle masculine. Une leçon qui vient conclure un film dont la construction par touches évite l’aspect trop didactique.

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