« Rien n’est noir », de la couleur avant toute chose

Frida Kahlo rencontre Diego Rivera alors qu’elle est encore étudiante. Après un terrible accident, elle vient solliciter son avis sur ses tableaux. Elle a décidé qu’il serait l’homme de sa vie, mais Diego n’appartient à personne…

L’histoire de Frida Kahlo est déjà relativement bien connue, ayant engendré des biographies comme celle d’Hayden Herrera qui a inspiré le biopic réalisé par Julie Taymor. Mais Claire Berest se réapproprie la vie de l’artiste mexicaine pour en faire un roman (Prix des lectrices Elle 2020).

La particularité du livre, c’est d’être dominé par la couleur. Chaque partie porte le nom d’une couleur primaire (bleu, rouge, jaune), correspondant à une époque de la vie de Frida et aux lieux où elle vécut. Au sein des trois parties, de brefs chapitres eux-mêmes nommés selon des nuances de couleur, explicitées par un sous-titre souvent poétique et faisant appel à la synesthésie : « Jaune beurre frais – Jaune pâle qui sent le givre », « Rouge Manhattan – Rouge criard et acidulé »… Les couleurs, c’est la façon d’exprimer au plus près les émotions de l’artiste, dont la vie nourrit la peinture. Et pourtant, ce n’est pas son art qui est au premier plan du récit mais bien la vie privée de Frida.

Rien n’est noir a beau décrire avec précision certaines œuvres de l’artiste et évoquer ses expositions dans la dernière partie, ce qu’on en retient est surtout une histoire d’amour hors normes entre le « colibri » brisé qu’est le corps menu et bardé de cicatrices de Frida, et « El Monstruo », l’imposant Diego Rivera, dont le corps décrit comme quasiment difforme attise pourtant la convoitise de toutes les femmes qu’il croise et séduit. C’est un amour intense, violent, fait de crises, de jalousies, de tromperies, entre deux êtres qui se voudraient libres mais attachés par la conscience du statut de gran pintor(a) de l’autre. Diego et Frida se seraient-ils autant aimés sans l’admiration réciproque pour leur travail artistique ? Ainsi l’art et la vie sont intimement mêlés, comme l’homme l’affirme lorsqu’il fait remarquer à Frida qu’elle ne peint que lorsqu’elle souffre.

L’expression de la souffrance est également centrale dans le roman, qui fait bien ressentir le tourbillon de vie dans lequel l’artiste tente de se fondre pour oublier ne serait-ce qu’un instant les tourments de ce corps perclus de douleurs depuis le terrible accident de la route qui lui laisse des séquelles toute sa vie. Frida, c’est aussi une jeune femme à peine sortie de l’enfance qui vit son avenir condamné et décida de mordre tout de même à pleines dents ce qu’il lui restait accessible.

Par rapport au biopic, ce que le roman apporte comme éclairage complémentaire, c’est le détail des voyages de Frida, aux États-Unis où elle se crée des amitiés, mais aussi à Paris, dans la dernière partie. C’est l’occasion de ressusciter une époque, et de voir passer, entre autres, Jean Cocteau, André Breton, Marcel Duchamp…

Sensuel et sensitif, le roman de Claire Berest réussit à emporter malgré un côté biographique précis qui aurait pu nuire au souffle romanesque. Sur la longueur, on se fatigue tout de même un peu des atermoiements de Diego, personnage assez peu sympathique dont on ne comprend pas forcément l’aura.

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