« La Passion Van Gogh » : qui a tué Vincent ?

Armand Roulin est chargé par son père, facteur, d’aller remettre à Théo Van Gogh la dernière lettre de son frère Vincent, écrite avant sa mort. Réticent, Armand part tout de même pour Paris…

Movie Challenge 2021 : un film d’animation européen

Le projet avait de quoi faire parler de lui, et c’est même étonnant qu’en dépit de ses récompenses il n’ait pas été encore davantage mis en avant : La Passion Van Gogh est le premier film d’animation peint à l’huile sur toile. Un pari fou, qui n’a coûté que 5 millions d’euros, pour une co-production britannico-polonaise, qui s’appuie d’abord sur l’idée d’une femme, Dorota Kobiela. Après des études d’art, cette passionnée de peinture se lance dans un cursus en cinéma, et désireuse de concilier ses deux engouements, elle s’embarque dans un audacieux projet de court-métrage. Avec l’appui de l’Anglais Hugh Welchman, l’idée mue pour devenir un long.

L’enjeu est titanesque : la réalisatrice s’inspire de la correspondance entre Vincent Van Gogh et son frère Théo (quelques huit cents lettres), et des nombreux tableaux du peintre qui donnent à voir les lieux et personnages de son quotidien à différents moments de sa vie. La narration s’appuie sur les derniers jours de la vie de l’artiste, tentant de recomposer le parcours fatal qui aboutit à son décès, avec une interrogation, portée par le personnage d’Armand Roulin : est-ce vraiment un suicide ? D’abord réticent à accomplir sa mission de messager, le jeune homme se mue en enquêteur qui va interroger tour à tour les personnes qui, à Paris puis à Auvers-sur-Oise, ont côtoyé Vincent dans ses derniers moments. C’est l’occasion de présenter toute une galerie de personnages. Certains font nommément partie de l’entourage du peintre, qu’ils soient cités dans ses lettres ou représentés en tant que tels sur ses toiles. D’autres, fictifs, sont issus de tableaux sans nom propre dans le titre ou ajoutés pour combler les vides d’une histoire qui reste mystérieuse. Pourquoi, alors qu’il semblait aller mieux, Van Gogh se serait-il donné la mort ?

Sur le fond, le film reprend des éléments déjà présents dans des biographies ou biopics précédents de l’artiste. C’est la forme qui impressionne et fascine. Esthétiquement, le résultat est extraordinaire et à la hauteur de l’exigence du processus, qui a nécessité une centaine d’artistes peintres pour contribuer à l’animation des tableaux. Cette impression de plonger dans les toiles et de naviguer de l’une à l’autre, c’est en fait le fruit d’une œuvre collective en plusieurs étapes : d’abord, un tournage en live action dans des décors construits pour ressembler aux œuvres de Van Gogh, ou devant des fonds verts dans lesquels les tableaux furent ensuite intégrés. Puis, une reprise plan par plan à la peinture à l’huile sur toile, comme en stop motion, pour animer image par image l’intrigue dans le style même du peintre. 62 450 plans. 12 toiles pour une seconde de film. Les chiffres sont hallucinants, et à l’écran le rendu l’est tout autant. Les touches de couleur sont bien visibles, et d’une image à l’autre, elles semblent vibrionner, rendant la matière vivante au même titre que ses sujets. L’éclat des réverbères, les ombres sur un vêtement ou un visage, tout est à la fois totalement fidèle à l’univers pictural du maître, mais aussi dynamique et poétique, et fonctionnant totalement en termes de cinéma et de narration.

Les personnages sont à mi-chemin entre les tableaux dont ils sont inspirés et le physique de leurs interprètes, offrant de troublantes sensations de sosies d’une autre époque. Ce sont bien Douglas Booth, Saoirse Ronan, Helen McCrory, Jerome Flynn… et en même temps ce sont Armand, la famille Gachet et sa domestique… Un tour de force fascinant, dont le fond serait presque éclipsé par l’unicité de la forme.