Kurt Barnert est encouragé dans son goût d’enfant pour le dessin par sa tante Elisabeth qui lui fait découvrir l’art dit « dégénéré » dans l’Allemagne nazie. Considérée comme schizophrène, elle est internée…
Ce troisième long-métrage de Florian Henckel von Donnersmarck s’inscrit dans une filmographie ô combien chaotique, qui a démarré sur les chapeaux de roues avec le grand succès critique La vie des autres, puis bifurqué de façon catastrophique avec The Tourist. Il revient à son l’Histoire allemande avec L’Œuvre sans auteur, fresque de 3h10 distribuée en France sous la forme d’un film en deux parties. Librement inspiré par la jeunesse et la formation du peintre Gerhard Richter, lequel n’a pas voulu être nommément cité dans le film, le cinéaste appuie son scénario sur cette idée « d’œuvre sans auteur » qui a été employée par la critique pour commenter le travail du peintre dont il s’inspire, jugé sans inspiration biographique ni personnalité propre.
Pourtant, de la personnalité, il semble que le petit Kurt (Cai Cohrs, qui se mue en Tom Schilling à l’âge adulte), n’en manque guère. Inspiré par la flamboyante Elisabeth (Saskia Rosendahl, qui irradie au point de voler la vedette à tout le reste du casting), le jeune garçon n’aura de cesse d’appliquer son conseil de « ne pas détourner les yeux » face à la réalité du monde, cherchant par tous les moyens à exprimer artistiquement une forme de vérité. Mais avant cela, le film est d’abord une fresque historique qui replace la vie de l’artiste dans le contexte de l’Allemagne nazie, avant et après la Seconde Guerre mondiale (la période 39-45 étant résumée à une scène de bombardement où tout ce que Kurt connaissait périt). Le scénario s’attache à la figure d’Elisabeth qui incarne une jeunesse effrontée, audacieuse, passionnée par l’art et l’avant-garde, la beauté dans le quotidien, la liberté et les couleurs, bref bien trop singulière et vivante pour le régime qui tient à mater ce genre d’électrons libres, et le fait dans la violence la plus écœurante. On savait que le régime nazi avait fait disparaître des personnes atteintes de trisomie, on dit moins que n’importe quelle crise de nerfs ou comportement singulier pouvait faire tomber un diagnostic de schizophrénie, passeport pour une stérilisation forcée, voire la chambre à gaz. Les rouages administratifs sont froids et limpides dans leur eugénisme que rien ne vient cacher, et c’est sans doute le plus choquant, à quel point l’idéologie mortifère est assumée.
Les rebondissements du récit lorsque Kurt adulte rencontre Ellie (Paula Beer) donnent à penser que l’arc narratif historique lié à ces horreurs commises envers Elisabeth va rester majeur dans l’économie du film, pourtant l’écriture scénaristique est déceptive sur ce point. Jusqu’au bout, on attend une prise de conscience, une forme de confrontation, quelque chose qui viendrait apporter un sens qui ne vient pas. Au contraire, le film se tourne davantage dans sa seconde moitié vers l’aspect artistique lorsque Kurt entame des études d’art d’abord à l’Est avec le réalisme socialiste qui ne le convainc guère, puis à Dusseldörf dans une école avant-gardiste. L’exploration artistique du jeune homme et de ses pairs donne lieu à quelques scènes plus légères, de même que les débuts de sa relation avec Ellie, et on se prend parfois à sourire. La vie éclate par instants, comme dans la drôle de scène sans rapport avec le reste portée par « Le temps de l’amour » de Françoise Hardy.
Heureusement, si le scénario ne convainc pas vraiment – on pourrait aussi reprocher le manque de place laissé au personnage de Paula Beer, dont les émotions ne sont pas vraiment développées – esthétiquement le film reste plaisant, notamment dans ses scènes nocturnes habillées d’un glacis bleu clair élégant, ou dans ses choix de filtres faisant ressortir les regards de ses protagonistes. Musicalement, l’habillage sonore signé Max Richter préfigure son travail sur L’amie prodigieuse dans l’action, mais se répète un peu trop pendant les scènes de création artistique. En demi-teinte, L’Œuvre sans auteur ouvre beaucoup de pistes, bien servies par ses interprètes, mais peine à les rassembler pour faire sens.
En tant que germaniste et admiratrice inconditionnelle de Gerhard Richter ce film m’a énormément parlé. J’avais bien reconnu les allusions à l’artiste, avant d’aller vérifier qu’il était source d’inspiration du film. Les autres étudiants et professeurs sont également inspirés de l’esprit créatif de l’avant-garde allemande qui entoure Richter. Je suis moins étonnée par les ellipses scénaristiques qui corresponde à ce que je pourrais appeler historiographie allemande. Il n’y a pas de confrontation peut-être pour un aspect réaliste par rapport à une certaine approche de l’histoire, surtout à l’Est.
Pour le coup je ne connaissais pas du tout le peintre dont le film est inspiré, ni les artistes qu’il croise, donc au moins j’ai appris des choses 🙂