Dans un train entre Budapest et Vienne, Jesse aborde Céline. Le jeune Américain convainc l’étudiante française de passer une nuit avec lui à explorer la capitale autrichienne avant de repartir à Paris…
Croiser un(e) auteur/trice, c’est prendre le risque de devenir la matière de son œuvre, c’est bien connu. C’est ainsi que Richard Linklater tire l’idée de son film d’une conversation entamée en fin de journée dans un magasin de jouets avec une inconnue. Ses premières expériences d’invitations à des festivals lui ont fait découvrir le charme des courts voyages dans des villes loin de chez lui, et c’est le croisement de ces deux expériences marquantes qui donne naissance au concept de Before Sunrise.
Ce n’est pas un hasard si le film fait aujourd’hui partie des plus grands classiques sur la rencontre amoureuse, de ceux qui touchent de très nombreux/ses cinéphiles. Il y a dans le premier volet de la trilogie suffisamment d’universel pour que chacun(e) puisse se sentir touché(e). Le dépaysement des premiers voyages effectués en solitaire, à l’orée d’une vie d’adulte, le goût de l’aventure à un âge où une nuit sans hôtel n’est pas un désagrément mais l’opportunité d’une expérience, les rencontres inopinées, quand le train-train quotidien ne nous a pas encore privés de cette faculté à créer des liens dans les circonstances les plus improbables.
Écrit à plusieurs mains (Richard Linklater a demandé de l’aide à Kim Krivan pour une première mouture, mais une fois le duo choisi pour incarner Jesse et Céline, Ethan Hawke et Julie Delpy ont également largement collaboré à l’écriture, bien que leurs noms ne figurent pas au générique), le scénario est à la fois d’une grande simplicité – une jeune femme et un jeune homme errent dans Vienne en discutant et se rapprochent peu à peu – et d’une grande richesse, dans les thèmes abordés et l’intensité des personnalités des protagonistes. Julie Delpy, déjà très expérimentée en tant qu’actrice à 25 ans, et Ethan Hawke, dont l’admiration pour sa partenaire transparaît à l’écran, sont d’une grande générosité envers ces personnages qu’ils parviennent à rendre humains, sensibles, denses, de sorte qu’on acquiert au fil de l’œuvre l’impression de les connaître, et de les aimer. À mesure que la Française et l’Américain tombent amoureux à l’écran, avec ce que cela comporte de surprises, de taquineries, de doutes et de tendresse, nous tombons également amoureux de leurs deux individualités, du couple qu’elles forment et de toute l’atmosphère du film. La douceur de la photo de Lee Daniel (qu’on peut retrouver sur le deuxième opus et dans Boyhood), la spontanéité de la conversation amoureuse, qui rappelle les chefs d’œuvre de Rohmer (même si le cinéaste se voit aussi bien une parenté avec Truffaut pour avoir fait vivre ses personnages au long cours dans plusieurs films), les lieux traversés, apportant leur lot de mélancolie (le cimetière), de poésie (le poète de rue) ou d’humour (la fête foraine), tout concourt à nous plonger dans une bulle délicieuse dont, comme Céline et Jesse, nous n’avons aucune envie de nous extirper.
Avec acuité et empathie, Richard Linklater, Julie Delpy et Ethan Hawke nous offrent un bonheur rare et intime, celui de la naissance du sentiment amoureux. Romantique sans tomber dans la mièvrerie, toujours déjouée par la capacité à rebondir et ne pas se prendre au sérieux, le film cultive un parfait équilibre, et fait de cette parenthèse une perfection d’autant plus certaine qu’elle paraît vouée à finir.
J’aime bien cette série de films et je les ai également chroniqués. Mon favori demeure celui-ci, sur la naissance du sentiment amoureux comme tu dis, qui est très beau.