Festival Premiers Plans 2021 rétrospective Fellini – Juliette des esprits

Giulietta se sent délaissée par son mari, et le soupçonne de la tromper. Elle commence à chercher un secours dans des expériences mystiques et auprès d’un détective… 

Juste après Huit et demi, qui racontait le renoncement d’un cinéaste à réaliser un film inspiré de la confusion de sa vie sentimentale et de sa psyché, Fellini revient avec Juliette des esprits. Dans le rôle-titre, Giulietta Masina, son épouse à la ville, qu’il a déjà dirigée à l’écran, et qui incarne ici une femme encore éprise de son conjoint après des années de mariage mais qui se doute qu’il la trompe allègrement, et qui en souffre. On n’est donc pas loin du personnage de Luisa dans Huit et demi, et on peut quelque part voir dans ce film un dépassement du renoncement que signifiait l’œuvre précédente. Simplement, le cinéaste a changé de point de vue.

En effet, l’ouverture a un point commun avec Huit et demi : on ne découvre le visage de la protagoniste que lorsqu’elle-même s’est contemplée dans le miroir pour s’apprêter. C’est une fois encore une indication du regard que l’on adoptera dans l’œuvre, ici celui de Giulietta, ce qui nous conduira à partager sa vision du monde mais aussi ses expériences mystiques.

La particularité de ce film à ce stade de la carrière de Fellini, c’est l’irruption de la couleur. Tous ses longs-métrages ont jusqu’alors été tournés en noir et blanc, avec un travail très poussé sur les ombres. On retrouve ici le tic de plonger dans l’ombre le visage des personnages qui semblent régulièrement surgir à l’écran, mais la couleur apporte une atmosphère bien différente. Alors que Giulietta vit dans une demeure essentiellement blanche, que son époux est souvent habillé de gris et elle-même de noir et blanc, petit à petit la couleur s’invite, à travers la présence d’autres personnages (sa sœur et sa mère, la voisine…) jusqu’à inonder l’écran lors des passages chez la voyante ou chez Susie. Giulietta elle-même se vêt de rouge lorsqu’elle cherche à échapper à sa situation quotidienne, à devenir une autre femme, plus sûre d’elle et prête à s’amuser. Les décors et tenues sont exubérants, les rouges saturés, on est dans une esthétique kitsch à souhait mais aussi presque sanglante, quelque chose qui fait penser à Suspiria avant l’heure.

Dans l’idée, on n’est d’ailleurs pas si loin de ce cinéma de genre avec ses figures de sorcières. Ici, les « esprits » du titre sont d’abord des coups frappés contre une table lors d’une séance de spiritisme initiée par des invités de Giulietta et de son époux. La protagoniste est très sensible à cette expérience, au point de s’évanouir, et ses amies vont alors l’entraîner à en réaliser de nouvelles, auprès de médiums et voyantes. Ces moments assez délirants à l’écran permettent à l’épouse blessée de se reconnecter avec des souvenirs d’enfance, en particulier celui d’un spectacle où elle incarnait une martyre. Les thématiques mystiques, religieuses, spirituelles et surnaturelles se mêlent allégrement, créant autour de Giulietta un environnement mi-angoissant mi-protecteur, qui dans la dernière partie de l’œuvre aboutit à des visions à mi-chemin entre la religiosité et la luxure.

Ce long parcours qu’accomplit seule Giulietta, car en dépit de multiples interactions sociales, elle n’a pas vraiment de soutien sur le long terme, c’est avant tout une tentative de s’extirper des multiples conseils qui lui sont donnés depuis toujours par son entourage et qui constituent à eux tous la toile gluante des impératifs faits aux femmes : il faut être respectable et pieuse (d’après son éducation chez les sœurs), dévouée à son époux (son amie qui la complimente sur ses talents de ménagère), sexy et séduisante (sa mère, la voyante), capable de s’amuser et de jouir de la vie (la voisine), revancharde (l’avocat), résiliente (le détective), heureuse en solitaire (l’invitée psy).

Derrière la mise en scène d’un Fellini de son aveu sous LSD qui se fait plaisir avec les apparitions qui entourent Giulietta, le film penchant de plus en plus vers le délire tout comme le faisait Huit et demi, la réflexion sur la condition féminine est présente. Les « esprits » sont-ils là pour enfoncer Giulietta dans ses peurs ou l’accompagner dans sa libération de ses chaînes ? C’est toute la question.

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