Festival Premiers Plans 2021 rétrospective Fellini – Huit et demi

Guido part en cure thermale tout en préparant son prochain film. Alors que toute l’équipe le harcèle afin que le projet avance, il se replie dans ses rêves et ses souvenirs…

Après ses débuts avec Le Cheik blanc, on retrouve Fellini six films plus tard. En comptant ses courts-métrages, il en est à son huitième film « et demi », ce qui donne à cette œuvre son titre énigmatique. On n’est plus ici face à un homme qui cherchait son style et se coulait dans le moule de la comédie facile et exacerbée, aussi réussie fut-elle. Fellini a imposé sa patte, il est reconnu et attendu, et propose donc une œuvre sur les difficultés inhérentes à son statut de réalisateur.

Pendant le tournage, le projet s’intitulait La Bella Confusione, et de fait, s’il est esthétiquement très beau, il s’agit bien de confusion, dans la tête d’un homme qui s’isole avec ses pensées. Dès l’ouverture, on ne voit pas dans la lumière le visage de Marcello Mastroianni, qui incarne Guido, jusqu’à ce qu’il se regarde dans la glace. C’est une façon d’adopter le point de vue du personnage, sur le visage duquel les ombres dessinent ses pensées sombres. Impénétrable pour son entourage professionnel et intime qui ne le comprend pas, Guido l’est aussi en partie pour lui-même, incapable de prendre des décisions quant à son film à venir, dont on comprend peu à peu qu’il est un miroir déformant de sa propre vie. Tout le parcours de l’homme consiste à échapper : aux solliciteurs qui surgissent d’on ne sait quel hors-champ, à ses devoirs de cinéaste, de mari ou d’amant, à la réalité qui l’oppresse et qu’il habille de fantasmes. On trouvait déjà dans Le Cheik blanc une propension au rêve mais l’onirisme est ici bien plus marqué avec des souvenirs, des flash-backs pas toujours entièrement réalistes, et des rêves où les personnages se métamorphosent (par exemple sa mère qui devient sa femme). Parmi les délires de Guido, celui d’un harem où toutes les femmes, actrices, amantes, connaissances, seraient présentes pour son seul bon plaisir. La scène fait d’abord sourire, avec un côté publicitaire incluant un regard caméra accompagné d’un slogan (« è un tesoro »), puis met mal à l’aise peu à peu, notamment avec la mention de la « limite d’âge » fixée aux conquêtes de l’homme qui les expédie à l’étage supérieur une fois « périmées » et ne déclenche qu’une révolte de pacotille.

Les femmes dans le film, de manière générale, sont objet de désir, de fascination, éventuellement de conflits, mais jamais perçues autrement que par le regard masculin. Là où dans Le Cheik blanc, on suivait autant les choix et péripéties de Wanda que d’Ivan, ici les personnages féminins ne sont jamais considérés en eux-mêmes, uniquement dans leurs rapports avec le réalisateur. Il faut dire aussi que le film rappelle que pour un artiste, tout dans le quotidien peut être inspiration : l’épouse (Anouk Aimée) découvre ainsi ses reproches retranscrit dans la bouche d’une comédienne lors des essais. Il y a dans le processus créatif quelque chose de cruel qui ne s’embarrasse pas de morale.

Sur le fond, la réflexion sur la création, sa vanité et sa complexité, se perd un peu dans les méandres de l’esprit de Guido qui nous sont présentés sans fil directeur. Reste le plaisir formel : le spectacle de la cure thermale en activité, soutenu par les morceaux de Nino Rota, donne l’image d’un lieu rempli et agité comme une ruche mais aussi fantomatique (la scène où tous emmitouflés dans des draps blancs identiques ressemblent à des spectres dans la vapeur du hammam). Le sens de la composition des plans s’est affiné, les décors sont majestueux avec des hauts plafonds, la symétrie met en valeur la solitude du personnage, qui contraste avec les irruptions intempestives. Les trouvailles visuelles sont remarquables : une caméra qui passe par un vasistas, une silhouette qui se détache en ombre chinoise derrière un linge. Plus le film avance, plus le personnage bascule dans son monde intérieur, et plus l’œuvre donne à voir le plaisir de faire du cinéma, quand bien même son protagoniste, justement, aurait perdu cette joie.

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