Simon vit dans le grand appartement en réfection de sa grand-mère avec sa compagne, Ariane. Maladivement jaloux, il la fait suivre et s’imagine qu’elle est attirée par les femmes…
Lorsqu’on retrouve la filmographie de Chantal Akerman au début des années 2000 avec La captive, on découvre un cinéma qui a beaucoup évolué. Il faut préciser qu’il s’agit d’une adaptation, certes libre mais tout de même, de La prisonnière, cinquième tome d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Ce que conserve la réalisatrice dans son scénario, co-écrit avec Eric de Kuyper, c’est l’idée d’un homme maladivement jaloux qui imagine à sa compagne des amours lesbiennes.
Pour incarner ce drôle de couple, Chantal Akerman choisit Stanislas Mehrar, alors assez rare à l’écran, et Sylvie Testud. Leurs deux regards clairs percent la caméra, l’un de son angoisse inquisitrice, l’autre de sa candeur apparente. La pâleur et la blondeur les rassemble, un air presque maladif aussi (le film insiste sur les allergies de l’homme). Dès le début, lorsque Simon suit Ariane, le film adopte son point de vue, en caméra subjective dans son élégante décapotable, ce qui ajoute à l’impression de malaise qui s’empare de nous en comprenant à quel point la jeune femme est constamment surveillée. On repère aussi la musique inquiétante, étonnamment présente, qui contribue à faire monter le suspens et l’angoisse. Il y a quelque chose d’hitchcockien dans ce film qui s’apparente à un thriller dans ses scènes nocturnes notamment, lorsque la silhouette de l’homme, seul dans le cadre, traverse tout l’écran à la poursuite d’une ombre de femme. Entouré de lignes verticales, c’est bien lui, le captif de ses obsessions.
Malgré la spécificité de ce film dans sa tonalité, on retrouve sur le fond et dans l’esthétique des éléments chers à la cinéaste. Visuellement, l’appartement aux murs roses rappelle celui de Jeanne Dielman au papier peint vert, toujours des couleurs raccordées aux tenues des personnages (Simon porte un pull rose pâle la première fois qu’on découvre son lieu de vie, sa grand-mère qui y habite également a souvent des touches de rose sur elle). En revanche, on ne verra pas la cuisine, les éléments triviaux du quotidien disparaissant dans cette intrigue où le temps ne semble jamais dévolu à des activités nécessaires, mais plutôt une longue étendue vide qu’il faut occuper. Simon s’inquiète de l’ennui qu’Ariane pourrait éprouver, et demande donc à Andrée (Olivia Bonamy) de l’emmener se divertir… tout en lui racontant tous les détails de leurs excursions. On sent bien l’emprise malsaine d’un homme possessif et jaloux, pour lequel l’abandon total de la femme est si capital qu’il ne la désire que quand elle dort et paraît à la fois inoffensive, tout à lui, mais aussi loin dans ses rêves. Si l’on s’attend à une nouvelle analyse de la condition féminine, ce qui surprend, c’est le comportement d’Ariane. La jeune femme semble s’accommoder de cette privation de liberté, répondant à toutes les demandes de Simon sans jamais se rebeller. Il y a dans le personnage composé par Sylvie Testud quelque chose qui échappe, comme si à force de se conformer aux attentes de son compagnon, elle n’avait plus de volonté propre, de goûts personnels. Si ce n’est la musique, comme en témoignent les moments où elle fredonne, les multiples mentions des cours de chant et le duo à la fenêtre (celle de sa comparse étant pourvue de barreaux signifiant l’enfermement des femmes dans les espaces privés).
Si les rapports des personnages sont étranges (ne serait-ce que la fluctuation entre tutoiement et vouvoiement), parce qu’en partie hérités de l’époque de Proust mais pas seulement, ce qui apparaît en revanche particulièrement moderne, c’est la scène où Simon va interroger un couple de femmes pour comprendre en quoi leur amour est différent de l’hétéronormativité. Lorsqu’elles lui répondent « J’ai plus confiance, nous ne sommes pas des ennemies », c’est toute l’emprise du patriarcat qui apparaît à travers la figure de ce type qui tente de compenser ses faiblesses par une attitude malsaine. Mais personne jamais ne peut posséder quiconque, et la fin du film se charge de le lui enseigner, quelle que soit l’interprétation qu’on en fasse.
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