Easter Eggs
Un restaurateur s’est suicidé en laissant s’envoler ses perroquets. Deux gamins désœuvrés décident de les capturer pour les revendre…
Dans un format carré et un style à la ligne claire, le Belge Nicolas Keppens installe une ambiance doucereuse où les couleurs pastel et la légèreté de la voix off (celle de Victor Polster, l’acteur de Girl) contrastent avec le drame évoqué du restaurateur suicidé ainsi que la toxicité de la relation pseudo-amicale qui unit les deux garçons. La séquence finale où les oiseaux envahissent l’écran, éclatant le cadre, est la plus réussie.
Any instant whatever
Un homme est assis à une table dans une pièce, les ombres se meuvent sur les murs…
La britannique Michelle Brand propose un travail du son et de l’image autour de la décomposition du mouvement dans le temps. Le personnage saturé de lignes, au visage à la Egon Schiele, est plongé dans une pièce où les traits se dissolvent au profit d’aplats de couleurs vives, où la matière est perceptible au regard. Expérience sensorielle autant sonore que visuelle, l’œuvre déconstruit l’image animée en couleurs et croquis, finissant par montrer le travail d’animation à travers des images numérotées semblant correspondre à la décomposition de la création du mouvement. Le résultat est perturbant et captivant.
Cante
De son bureau impersonnel, un travailleur entend un chant traditionnel qui l’incite à se reconnecter à la terre…
Bien que la Portugaise Teresa Baroet vienne de la photographie, son court-métrage respire l’art de la peinture. Les mouvements semblent micro-décomposés en coups de pinceaux mouvants qui créent la dynamique ; la matière est vivante à l’écran. Le chant traditionnel, vibrant, convoque un imaginaire qui rappelle les tableaux agricoles du XIXe siècle. L’un d’eux semble se mettre à bouger sous nos yeux dans la séquence sublime du fauchage des blés, qui donne l’impulsion de toucher les épis qui paraissent si préhensibles. Le film a reçu le prix de l’Extra Court.
Les yeux grands ouverts
Emma est en vacances. Au bord du lac, elle repère un jeune homme alangui qui fume et l’observe en cachette…
C’est l’un des cinq courts-métrages français de la sélection animation, un genre toujours très vivace chez nous. Laura Passalacqua propose un style visuel chaud et coloré, on se croirait dans un tableau de Gauguin avec ses tonalités vives qui charment la pupille. Les personnages font très réalistes, et pour cause ils sont animés à partir d’acteurs/trices (Carmen Kassovitz et Alexandre Desrousseaux, vu dans Play). Comme au crayon de couleur, le rendu donne l’illusion du grain de la peau. C’est sublime, et même si le scénario est léger comme une romance estivale avortée (l’affiche d’un gros plan de Call Me By Your Name dans la chambre n’est pas un hasard), on se laisse emporter par cette bulle aux sons ouatés, où les cigales l’emportent sur les voix cotonneuses. Une ambiance qui rappelle les films de plage de Rohmer, Guillaume Brac et Eva en août, on adore ! Le film a reçu le Prix Arte et sera donc diffusé sur la chaîne.
Cuisine.blend
La réalisatrice tente de recréer la cuisine de la maison de ses grands-parents sur le logiciel Blend…
C’est un film expérimental où tout se déroule sur un écran d’ordinateur, celui de Nataliya Ilchuk, qui dans ce court-métrage d’études tente de reproduire la cuisine de ses grands-parents grâce à un logiciel qui permet de créer des volumes en 3D. Le projet l’oblige à employer des photos et vidéos des lieux pour les copier avec fidélité, et on entend des bribes de conversations intrafamiliale. C’est un hommage rendu à des personnes chères, en même temps qu’un pari technique, qui donne lieu à un résultat parasité par une impression de neige à l’écran.
Nod. wink. horse.
Un immeuble, des détritus, un café, et un cheval qui apparaît dans le champ…
Le film de l’Irlandais du Nord Ollie Magee nous plonge dans un univers sombre, en dépit de l’aspect ludique des marionnettes texturées. Immeuble gris, nombreux sacs poubelles, voiture renversée sur laquelle s’acharnent des passants… Et un café, où un homme semble attendre une femme pour un rendez-vous. La suite, c’est une spirale de violence, du moins c’est ce qu’on pourra deviner par les coins d’écran que l’on pourra apercevoir derrière la silhouette floue du cheval de papier, au premier plan. Autant se fier à la bande-son pour tenter de composer une interprétation. Ce cheval, qui bouche la vue, nous épargne le spectacle sordide en même temps qu’il sollicite notre interprétation pour l’imaginer.
My fat arse and I
Alors qu’elle n’arrive pas à fermer un pantalon, une femme se voit soudain énorme et doit faire face à ses complexes…
Sous un dessin assez enfantin et un contraste jaune vif/noir très flashy, ce film polonais traite du très sérieux sujet de la dysmorphie corporelle, ce trouble qui fait voir son corps difforme alors qu’il ne l’est pas. Ici, les ennemis sont le miroir et la balance, qui plongent le personnage féminin dans une angoisse telle qu’elle s’affame jusqu’à devenir fort maigre. S’appuyant sur de chouettes remixes de morceaux classiques bien connus et souvent employés au cinéma (l’air de la danse chinoise de Casse-noisette et « Dans l’antre du roi de la montagne » de Peer Gynt) et employant les codes du jeu vidéo, le film est un appel à se réconcilier avec son corps.
Rivages
Une île en Bretagne, des rochers, du vent dans les arbres, des promeneurs et des mouettes, et soudain la tempête…
Le film de Sophie Racine est une œuvre très délicate, presque comme un tableau d’Hokusai, auquel on pense dès que l’on voit des vagues dessinées. L’esthétique en noir et blanc est extrêmement élégante mais jamais froide, et parvient à transcrire avec une justesse étonnante les paysages de côtes bretonnes. La poésie est dans les détails, une pile de galets, le regard d’un goéland. Ce qui plonge dans l’ambiance, au-delà de l’image, c’est l’extraordinaire travail de son qui se fond avec la bande-originale de Yan Volsy, où la harpe et le violon font merveille.
Les mécanorganes
D’étranges créatures mi-organiques mi-mécaniques se combattent en tentant de survivre dans un monde dont les limites restent inconnues…
Libéral Martin a beaucoup travaillé sur le rapport entre musique et mouvement, et cela se ressent dans ce court : les créatures qui apparaissent à l’écran se meuvent, se battent, se créent et se détruisent au rythme de la bande-son techno qui semble aussi conditionner l’appréciation. En noir et blanc, le film passe du microscopique avec les plus petites créatures comme les OY-1 au macroscopique. Légendés, schématisés, ces êtres robotiques et pourtant vivants semblent-ils nous plongent dans un enchaînement quasi-psychédélique.
Carne
Cinq femmes brésiliennes prennent la parole pour témoigner de leur relation à leur corps…
Le titre du court-métrage met en avant la chair, mais Camila Kater ne réduit pas les femmes à leur apparence : elle leur donne une voix. Divisé en cinq témoignages audios, le film est l’occasion d’entendre des femmes sans les voir, et donc justement de s’abstraire de leur réalité corporelle pour être pleinement disponible à ce qu’elles ont à dire. À l’écran, l’animation est colorée, généreuse, multipliant les idées et les techniques pour coller à chaque personnalité et chaque vécu qui nous est conté. La pluralité féminine dans sa splendeur.
À la mer poussière
Malo et Zoé se disputent pour attirer l’attention de leur mère, toujours plongée dans ses pensées ou absente…
Sous la douceur, la douleur. Les marionnettes toutes douces aux tons clairs d’Héloïse Ferlay, qu’on aurait envie d’avoir comme doudous, mettent en scène une situation terrible. Dans une maison isolée, une mère célibataire ne supporte pas le quotidien, embrumée dans une état dépressif. Son échappatoire, la fuite. La « mer poussière », métaphore de la « mère poussière », difficile à saisir pour les enfants, pourrait être l’occasion de la réconciliation. La musique d’Antonin Tardy contribue à l’émotion suscitée par ce court.
We stand on the hill, proud and gentle, heading towards the unknown and death
Un jeune homme se souvient d’un été, avant qu’il quitte la ville où il avait grandi, pour ne plus la reconnaître en revenant…
Un peu comme Séjour dans les monts Fuchun en 2020, le court-métrage de Linyou Xie s’interroge sur l’évolution urbaine des villes chinoises, ici à travers les souvenirs d’un jeune homme qui se rappelle des lignes de chemins de fer de son enfance et de ses trajets d’adolescence pour aller voir sa copine ou boire des bières avec des amis. Le temps qui passe le confronte à la modernisation qui détruit ses souvenirs, et le fait basculer du côté du passé, dans lequel son être adolescent est resté prisonnier au même titre que cette jeune fille qui n’a pas pu vieillir. Le trait est subtil, les ambiances poétiques, les êtres des ombres en quête de sens.
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