Odile et son mari cherchent un nouvel appartement, de même que Nicolas, un ami d’Odile qui rentre d’Angleterre où il a laissé femme et enfants. La sœur d’Odile, Camille, termine sa thèse et s’éprend de l’agent immobilier…
Après Cuisine et dépendances, qui marquait leur entrée au cinéma en tant que tandem de scénaristes, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri entament une collaboration avec Alain Resnais dans Smoking/No Smoking, pour le retrouver quelques années plus tard avec On connaît la chanson. Le film est resté célèbre pour son procédé d’incrustation musicale, et pour sa bande-annonce. Les deux fonctionnent d’ailleurs selon des principes bien différents : alors que le trailer met en scène les comédien(ne)s s’exprimant en énonçant des paroles de chanson comme s’il s’agissait de monologues, le film utilise des morceaux musicaux avec la voix de leurs interprètes originaux, créant un décalage voulu entre le timbre et le visage en plein playback.
La scène d’ouverture initie ce procédé de la façon la plus frappante, ce qui fait que cela choque moins dans la suite de l’œuvre, puisqu’elle place « J’ai deux amours » chantée par Joséphine Baker dans la bouche d’un gradé allemand amoureux de Paris. Cette entrée en matière brusque nous intrigue et nous met en éveil, une disposition d’une acuité bien utile pour saisir la finesse des états d’âme qui agitent les personnages au fil de l’œuvre.
Le film semble d’abord un délicieux marivaudage, esquissant des triangles amoureux au gré des morceaux sentimentaux : Nicolas complimentant son amie de longue date Odile sous les yeux de son époux Claude, quelque peu désintéressé, Simon rêvant de séduire Camille qui s’aveugle en s’éprenant de Marc. On connaît la chanson, et le film porte bien son titre de ce point de vue : les hommes sont séducteurs et infidèles (« J’aime les filles »), les femmes placent l’amour au-dessus de tout (« J’m’en fous pas mal »). Mais petit à petit, les atermoiements sentimentaux deviennent moins comique et la tonalité du film s’altère vers la mélancolie, à mesure que la question du logement (le film a failli s’appeler « Chacun cherche son chez-soi ») devient plus prégnante. Odile exhorte Claude à décider d’acheter un logement doté d’une vue hors du commun, souhaitant à toute force qu’il prenne enfin une décision (du moment que celle-ci comble ses attentes…), Nicolas visite à tour de bras sans jamais prendre une option mais se lie peu à peu d’amitié avec Simon, l’agent immobilier pas très doué. Ce ballet permet à Alain Resnais de retrouver ses acteurs/trices fétiches, en particulier le trio Arditi/Azéma/Dussolier, le premier étant un peu en retrait par rapport à la prestation fébrile de sa partenaire à l’écran. Il faut dire que même si les hommes ont des partitions intéressantes à jouer, avec des failles qu’ils tentent de masquer à l’instar de Nicolas qui refuse d’avouer que son couple se délite et court de médecin en médecin en espérant soulager ses angoisses, ce sont les femmes qui brillent particulièrement sous la caméra de Resnais. Le personnage de Camille incarné par Agnès Jaoui est particulièrement passionnant : jeune guide touristique dynamique, elle soutient brillamment une thèse pointue, rencontre un amoureux, se fait un nouvel ami qui partage sa passion pour l’Histoire… mais au moment où tout semble lui sourire, quelque chose se fissure, sous la forme de brutales crises de spasmophilie. Dès lors, les mécaniques s’enrayent, les doutes surgissent en chacun(e), les plans tombent à l’eau, quelque chose flotte comme les méduses en surimpression à l’écran, quelque chose de l’ordre de la dépression insidieuse, de l’esprit « fin du siècle ». Une intranquillité d’esprit que le film rend valide, faisant de la tristesse une expression sincère qu’on est en droit de ne pas cacher (« Ça, c’est vraiment toi »).
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