« Les grands chevaux » : mystique de la flamme

Alors qu’un pont doit être reconstruit pour réunifier la ville séparée depuis la Seconde Guerre mondiale, Kerr, pompiste d’en haut, et Niels, cracheur de feu d’en bas, partagent sans se connaître la même hallucination, celle d’une harde de chevaux galopante…

Deux ans tout juste après L’Appel, un premier roman fulgurant autour d’un sauteur en hauteur, Fanny Wallendorf revient, toujours chez Finitude, avec un récit au résumé mystérieux.

Les grands chevaux semble n’avoir aucun rapport avec le premier livre de l’autrice, même si l’on retrouve certains éléments marquants de son univers littéraire. D’abord, le choix de personnages principaux masculins, même s’ils sont cette fois deux, puis l’importance de la passion dans la vie d’un protagoniste. Après Richard, dont l’amour du saut en hauteur conditionnait toute la vie, en dépit de ses difficultés initiales dans ce sport qui lui demandaient beaucoup de pugnacité, c’est Niels, cracheur de feu de son état, dont l’application et l’investissement dans son art vont être mis à mal par des problèmes de santé.

Hormis ces points de passerelle, le roman se révèle déroutant. Cette fois, il ne s’agit pas de romancer le destin d’une personnalité publique, mais de créer un univers singulier. On a beau avancer dans la lecture, les indices sur le lieu et le temps du récit demeurent rares, construisant une réalité légèrement décalée de la nôtre et de plus en plus clairement dystopique. La Seconde Guerre mondiale, plusieurs fois mentionnée au fil des pages mais de façon toujours évasive, est en quelque sorte le seul ancrage qui nous rattache au monde de l’intrigue, comme si celui-ci était un univers parallèle au nôtre, une branche différente née de cet événement funeste. Dans le monde dépeint par Fanny Wallendorf, une ville reste marquée par la division instaurée par la guerre, créant un conflit à la fois géographique et social. Entre ceux de la ville d’en haut et ceux d’en bas, ce qui se joue n’est rien moins qu’une lutte des classes. D’un côté, une notabilité établie qui n’hésite pas à employer des méthodes mafieuses pour conserver sa mainmise sur le pouvoir. De l’autre, des populations plus précaires dont certains éléments ont soif de réussite et de reconquête décisionnaire.

Tout ce conflit n’est qu’une toile de fond à deux trajectoires individuelles, racontées par paragraphes alternés. Kerr et Niels ont en commun cette harde de chevaux qui les hante, signifiant pour l’un l’angoisse et pour l’autre l’inspiration, mais aussi une enfance marquée par le traumatisme. Victimes de parents abusifs chacun à leur manière, les deux hommes tentent, seuls, de dominer la souffrance qui les a salis. Les rencontres apparaissent comme des espoirs de secours, parfois déçus, toujours cause de doute et de trouble. Alors que Niels croise la route de Paule, fascinée par sa pratique du feu, et de Natalia, charnellement attirée par ce convalescent, Kerr tombe sur Coline, dont la douceur et le phrasé aphoristique en font la relation-pansement idéale.

De page en page, le cœur du récit échappe et c’est ce qui le rend addictif. Quel est l’enjeu réel du texte ? Y a-t-il un point de convergence à ces deux destins ? La danse du feu attise la curiosité des lecteurs/trices, comme la fascination des personnages en quête de rédemption, mais gare au retour de flamme.

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