Félicité rencontre Théodore au bal, et il lui promet le mariage avant de l’abandonner pour une plus riche. La jeune fille se fait alors embaucher comme domestique chez Mme Aubain, et s’occupe des enfants de la veuve…
Marion Laine fait partie des réalisateurs/trices français(es) spécialistes des adaptations. Avant les contemporain(e)s Mathias Énard (À cœur ouvert) et Julie Bonnie (Voir le jour), elle a consacré son premier long-métrage à une œuvre relativement méconnue de Flaubert, Un cœur simple. Cette nouvelle, publiée dans le recueil Trois contes, narre la vie de misère et de malheur de Félicité, une jeune fille pauvre placée comme domestique.
Le film démarre au moment où Félicité fait la rencontre de Théodore. Le jeune homme entreprenant paraît une occasion pour cette jeune fille naïve de changer de vie en l’épousant, mais l’amoureux préfère la sécurité d’une femme qui peut lui acheter un remplaçant pour l’armée et plante Félicité sans égard. Dans le film, ce premier grand chagrin est l’occasion d’introduire un type de scène plus travaillé, avec des effets de ralenti, qui apparaîtra à plusieurs reprises pour souligner, plus ou moins adroitement, les moments dramatiques de la vie de Félicité.
La jeune femme est incarnée par Sandrine Bonnaire, toujours un bon choix pour donner corps à des personnages un peu particuliers, souvent ambivalents, en marge. Ici, la domestique a la réputation d’être « bizarre », quand on ne dit pas d’elle qu’elle « n’a pas toute sa tête ». Rêveuse, dans son monde, peu au fait des usages et convenance, Félicité mérite bien son qualificatif de « cœur simple », car elle semble en effet tout entière dirigée par les impulsions de son cœur, qui ne s’embarrasse pas de conventions mais se laisser aller à exprimer l’amour qu’elle ressent. Ce qui est reproché à Félicité, aussi bien par le regard interloqué de son amant lorsqu’elle le couvre de baisers jusqu’à jouir toute seule de cet élan sentimental, que par les sautes d’humeur de Mme Aubain (Marina Foïs) lorsqu’elle la trouve en train de câliner sa fille Clémence, et plus tard par son neveu Victor lorsqu’elle le supplie de ne pas partir en Amérique, c’est d’éprouver un amour trop intense et trop envahissant pour son entourage, qui fait par comparaison preuve de bien peu d’émotions.
Félicité a beaucoup à donner, mais si certain(e)s en profitent un temps, nul(le) ne semble disposé à lui rendre ne serait-ce que partiellement les sentiments qu’elle a à offrir. Contrainte par les règles imposées par sa patronne, qui sait la manipuler sans scrupule pour se la garder attachée, Félicité ne se marie pas et ne songe jamais à améliorer son ordinaire d’une quelconque manière. Elle n’est que dévouement à ses proches, qui lui sont cruellement retiré(e)s un à un, que ce soit par des choix humains ou par des événements funestes. C’est une vie faite de pertes successives, à la fois des autres et de ses propres capacités (un accident la laisse boiteuse, plus tard elle perd l’audition), une pente descendante qui mène Félicité au déclin.
La réalisation soignée met à l’honneur la campagne normande et en particulier la côte dans des plans à la photo superbe (du grand Guillaume Schiffman) rappelant des tableaux impressionnistes, mais reste par ailleurs plutôt sobre et sage, s’attardant sur les visages sans fard de Sandrine Bonnaire et Marina Foïs qui finissent par constituer comme un duo-miroir de deux femmes éprouvées par les drames de la vie. Seul le perroquet Loulou offre une sorte de répit coloré et fantasque à l’affadissement du destin et des nuances à l’écran, comme un ultime embrasement du cœur de Félicité.
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