
Joachim est interpellé dans la rue par un homme qui croit reconnaître en lui un criminel serbe, mort le jour de la naissance du jeune homme. Intriguée, Alice monte une petite équipe de tournage pour faire un film sur la quête du mystérieux Zoran…
Movie Challenge 2020 : un film avec une actrice que j’adore
Après toutes les belles découvertes du mois dernier (Angoulême, semaine de la comédie UGC, Deauville), il me reste encore quelques grandes attentes de cinéma pour la fin 2020 et ce film en faisait partie. Il se présente pourtant sans prétention comme un premier film qui semble presque réalisé en amateur, mais c’est aussi la forme la plus adaptée à son sujet.
En effet, c’est, entre autres, l’histoire d’Alice qui fait un film sur Joachim. La jeune femme, sorte de double de la cinéaste qui a elle aussi vécu un temps en Bosnie, emmène son ami dans ce pays où elle a été journaliste, afin de l’aider à retrouver les traces de l’homme dont il pense être la réincarnation, mais ce road trip est pour elle presque un prétexte. Ce qui compte, comme elle le dit plus tard à la preneuse de son Virginie (Antonia Buresi, vue dans C’est ça l’amour), c’est de faire un film autour de et pour Joachim. Tourné caméra à l’épaule avec très peu de moyens, le film est forcément un peu bancal, et toute la mise en abyme du tournage produit des effets assez comiques : la caméra ne sait pas quoi filmer et laisse apparaître la preneuse de son dans le cadre, Alice donne ses directives en plein milieu des scènes, cherchant à composer des plans esthétiques (la scène où elle enferme le caméraman dans le coffre est hilarante), alors que Joachim est tout entier concentré sur sa quête (qui s’avère compliquée étant donné qu’il ne parle pas le serbo-croate et que son anglais est aussi rudimentaire que celui des témoins qu’il interroge). La meilleure trouvaille est sans doute d’avoir créé ce personnage de caméraman qui ne parle jamais mais auquel les acteurs/trices s’adressent sous le nom de Paul (et qui se confond ainsi avec le chef-opérateur Paul Guilhaume). Sorte de faux documentaire sur la Bosnie et le destin de Zoran en caméra embarquée, Les héros ne meurent jamais est en quelque sorte un vrai docu sur la façon de tourner un film sans avoir beaucoup de ressources humaines, techniques et financières.
Sur le fond, la mystérieuse histoire racontée par Joachim dans la scène d’ouverture donne lieu à toute une réflexion sur la possibilité de la réincarnation, la mort, l’angoisse de la séparation d’avec ses proches, l’anticipation du souvenir. Le film se fait plus touchant lorsqu’on comprend pourquoi Alice s’est lancée dans cette aventure, et Adèle Haenel apporte ce mélange d’humour, de détermination et d’émotion qui sied parfaitement à ce personnage. Face à elle, Jonathan Couzinié, qui co-signe le scénario, s’en sort très honnêtement dans la peau d’un personnage dont on ne saisit jamais entièrement la psyché. Égocentré, emporté, maladroit, Joachim n’est sauvé que par l’épée de Damoclès qui plane au-dessus de lui. On se demande d’ailleurs si ce n’est pas ce qui lui attache autant Alice, la possibilité de la perte, qui joue certainement un rôle important dans leur relation dont on ne sait pas très bien comment la qualifier (elle le présente comme son mari à leur hôtesse, mais ils sont gênés de dormir dans le même lit). Quand les personnages croient-ils vraiment à ce qu’ils sont en train de faire ? Quand sont-ils tous et toutes en train de mentir, dans une perspective purement créatrice (comme lorsque le terme de personnage échappe à Alice en train d’expliquer à Joachim quelle scène il doit littéralement jouer) ? À la fin, l’imaginaire et le réel n’ont plus tellement d’importance : comme dans Sibyl, où l’écriture du roman influait sur la vie de l’autrice et des modèles de ses personnages, la fiction a une puissance non seulement consolatrice mais performative. Un message qui ne pouvait que me séduire.
