« Le grand soir » : tu seras un punk, mon frère

Jean-Pierre, vendeur de literie dans une zone commerciale, tient absolument à rester dans les normes, alors que son frère Ben, dit Not, se targue d’être le plus vieux punk à chien d’Europe…

Après Effacer l’historique, mon premier film du duo Delépine-Kervern, il était temps pour moi de me plonger dans cette filmographie ancrée dans le cinéma social, mais avec une tonalité assez différente de ce que j’ai l’habitude de voir en la matière. 

C’est un extrait de ce Grand soir, dans lequel un Benoît Poelvoorde quasi méconnaissable avec sa crête punk haranguait les consommateurs en plein supermarché, qui m’a donné envie de commencer cette petite rétrospective dans le désordre par ce film. Dès la première scène, on découvre le quotidien de ce personnage marginal, que tout semble opposer au reste de sa famille, avec laquelle il entretient des conversations surréalistes où chacun parle en même temps sans écouter les autres. Not, comme il l’a tatoué sur son front, aime boire des bières, manger des yaourts, et surtout son chien. Ce qu’il n’aime pas, c’est le système, qu’il s’amuse à emmerder à grand renfort de doigts d’honneur face aux caméras de surveillance. Il y a dans ce personnage qui va si bien à son interprète un savant mélange, à l’écriture, de désespoir et de liberté, de petits plaisirs du quotidien et de détestation profonde de la société de consommation, de facétie et de colère, de pétages de plomb et de philosophie. La liberté punk, c’est l’idéal qu’il incarne dans ses rêves aux allures de concert déchaîné des Wampas. Il forme avec son frère (Albert Dupontel), un duo d’abord chien et chat, car autant l’un est sorti des radars de la société, autant l’autre fait tout pour se conformer aux normes, mot qu’il a en permanence à la bouche, désemparé de ne pouvoir faire rentrer son frère dans le droit chemin. Pourtant, la machine a pour lui aussi commencé à s’enrayer, puisque sa femme est partie avec leur enfant et que son patron le menace de licenciement faute d’atteindre les objectifs.

Malgré des scènes très drôles, souvent d’un humour cynique ou absurde qui fait mouche, le film ne cherche pas à sublimer la réalité de la misère, sociale, économique et affective. Il plonge les deux mains dans le cambouis avec la déchéance de Jean-Pierre, qui va jusqu’à tenter de mettre fin à ses jours, toujours dans le supermarché, le temple des vices de cette société où chacun achète pour combler ses manques. Le parangon de ce mélange d’humour et de noirceur est atteint avec le type qui voulait se pendre dans son jardin, un exemple de plus de la perte du goût de la vie qui traverse tout le film.

Peu à peu, à travers des dialogues qui semblent parfois sans queue ni tête mais renferment un trésor de répliques cultes savamment profilées, l’attitude punk de Not se propage, d’abord à son frère, puis à ses parents, qui tiennent « La Pataterie » de la zone commerciale, ce monstre qui en tuant les centres-villes a contraint les habitant(e)s à venir errer dans ces grands magasins sans âme (avant qu’Internet et les achats en ligne ne les torpillent à leur tour, comme on peut en avoir l’intuition avec un certain client du magasin de literie). Les plans où l’on observe les personnages à travers les caméras de surveillance ajoutent à cette idée d’impersonnalité de ces grandes surfaces commerciales, et à la satire d’un capitalisme qui broie les humains, petits comme des fourmis à l’écran, réduits à consommer ou crever.

On aurait pu s’attendre à une fin tragique pour cette famille de doux dingues, traités avec tendresse par la caméra du tandem de réalisateurs, clairement du côté des marginaux. Ce « grand soir » qu’ils souhaitent célébrer « sur l’ancien parking de Leroy-Merlin », tout un symbole, pourrait être leur dernier, ou celui d’une renaissance libérée et joyeuse. Le film a choisi une façon élégante de faire exister jusqu’au bout la révolte de ces deux anti-héros.

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