Ema et Gastón ont adopté un enfant, puis l’ont rendu après qu’il a grièvement brûlé sa tante au visage. Le couple se rejette la faute tandis qu’Ema aspire à plus de liberté personnelle et créative…
Movie Challenge 2020 : un film dont l’affiche est jolie
C’est presque pour ça que j’ai voulu voir ce film, en raison de sa sublime affiche en ombres chinoises sur fond d’une boule rouge évoquant aussi bien un incendie qu’un poisson-lune bizarre ou une installation artistique. Pour ça, et aussi parce que j’ai une faiblesse pour les fictions autour de la danse (de Flesh and Bone à Girl avec plus ou moins de succès).
Et donc, Ema. De Pablo Larraín, j’avais vu Jackie il y a quelques mois, mais je ne peux pas dire que le biopic porté par Natalie Portman m’ait vraiment préparé à ce nouveau film qui repose sur les épaules de la révélation Mariana di Girólamo. Et pour parler du film, je crois qu’il faut d’abord parler d’elle, l’incarnation d’Ema, cette bombe au sens concret du terme : une arme à retardement prête à exploser. Quand la responsable de son dossier d’adoption lui intime de ne plus se préoccuper de l’enfant qui fut son fils, quand son compagnon rejette sur elle tous les torts, quand tout semble se liguer contre elle et qu’elle réagit peu, on sent que ce n’est qu’énergie contenue prête à brutalement se libérer.
Et cette libération apparaît sous plusieurs formes, qui se succèdent et s’entremêlent au gré du film. Au commencement, il y a la danse. Celle qu’elle crée avec Gastón (Gael Garcia Bernal) et la troupe, poétique, onirique, contemporaine, sublimée par les éclairages chauds. Puis il y a l’autre, la danse de rue, saccadée, ondulante, sensuelle, bestiale presque. Le reggaeton que Gastón méprise est pour les femmes de la troupe le vecteur d’une réappropriation corporelle. Par le biais d’une danse considérée comme vulgaire, elles accèdent à une forme de pouvoir sur leur propre corps mais aussi sur celles et ceux qui les entourent. Ema devient leader de ses amies danseuses et les entraîne dans une révolution qui est aussi sexuelle. La jeune femme, d’objet soumis aux désirs artistiques et physiques du chorégraphe, devient maîtresse de son corps sur tous les tableaux, et en profite pour assumer son potentiel érotique, celui qui lui permet d’arriver à ses fins en subjuguant celles et ceux qui croisent sa route. Dans Ema, chaque thématique a sa couleur, et l’exploration sexuelle est d’un bleu-vert éclatant, celui de l’espoir d’un renouveau, d’une vie meilleure, plus épanouie et libre.
L’empowerment passe également par une version plus technique de la bombe : au lance-flammes, Ema carbonise les rues, laissant des cendres sur son passage. Tout brûle, comme le feu de l’échec maternel qui la consume, comme le visage de sa sœur abîmé par l’enfant incontrôlable.
Tout ceci est orchestré dans un ballet qui nous envoûte et presque nous hypnotise, ponctué de face-à-face entre Ema et Gastón, des gros plans sur leurs visages qui ne savent plus se parler sans se renvoyer la faute originelle. De quoi il s’agit exactement, et quelle solution cette souffrance peut-elle trouver, c’est à la fois l’enjeu du film et ce qu’il met presque toute sa durée à nous dévoiler, touche par touche, indice par indice, jusqu’à ce que les pièces du puzzle s’assemblent pour former le tableau d’une société chilienne moderne incarnée par l’incandescence d’Ema, qui détruit pour mieux reconstruire à son image.