Nicolas a eu une petite enfance heureuse. Puis ses parents lui ont expliqué qu’il était né d’un don de sperme anonyme, son papa étant stérile…
Chaque année à son lot de moments joyeux que l’on a hâte de voir arriver : Noël, les vacances d’été, les crêpes de la Chandeleur ou les chocolats de Pâques, et le nouveau roman de ses auteurs/trices préféré(e)s.
Arnaud Dudek a pris ce rythme d’un livre par an, et son dernier en date, Laisser des traces, opérait un changement d’éditeur (d’Alma à Anne Carrière) et une petite révolution, avec un personnage moins directement attachant, plus complexe, et un nouveau sujet, moins intime et plus politique.
Avec On fait parfois des vagues (on notera d’ailleurs la parenté entre ce titre et le précédent, laisser des traces, faire des vagues, c’est toujours quelque part l’idée d’explorer les effets de nos actes, les incidences de nos petites vies sur le monde qui nous entoure), il retrouve un thème familial, plus proche de ses romans précédents, qui tournaient souvent autour de la sphère de la famille nucléaire : être le frère d’une sœur disparue, devenir père quand on a souffert l’horreur enfant… La justesse de son écriture se place souvent dans la conjonction entre des personnages doux et ordinaires, et l’extra-ordinaire souvent excessivement douloureux auquel ils sont confrontés : après la disparition d’un proche et la pédocriminalité, cette fois-ci il est question de la quête des origines. C’est moins directement douloureux, l’enfant n’a pas subi l’arrachement d’une personne chère ou d’une partie de lui-même. C’est une souffrance plus subtile, et que Nicolas, le narrateur, qualifierait à peine comme telle. Plutôt une incompréhension, une incomplétude.
Comme dans Tant bien que mal, c’est la possibilité de devenir père, en l’occurrence l’impossibilité ressentie, qui pousse l’homme à tenter d’avancer dans sa vie en élucidant les mystères du passé qui l’entravent. Ici, il est question d’une recherche de géniteur, avec des méthodes dont on entend régulièrement parler dans les reportages sur le sujet, comme les tests ADN à l’étranger, mais aussi d’une relecture de son enfance et de sa relation avec son père. La structure narrative le fait bien sentir : les courts chapitres, aux titres souvent poétiques et décalés, sont chronologiques jusqu’au test, qui est l’occasion d’une plongée dans les souvenirs, et tout à coup ce n’est plus tout à fait la même enfance qui se dessine devant nous. Comme si, en ajoutant des anecdotes, le père, désigné comme transparent jusqu’alors, prenait peu à peu sa place dans le tableau. On sent bien que l’auteur, père lui-même, n’en avait pas fini avec l’exploration de ce sujet, qu’il lui fallait encore creuser, interroger le rapport de filiation : comment aimer son enfant et le lui faire ressentir ? comment être là sans l’étouffer ou paraître absent ? qu’est-ce qui fait un père, le sang ou le quotidien ?
Si le sujet, en tant que femme, me touche peut-être un peu moins que certains de ses romans antérieurs, il y a toujours un moment où je me fais surprendre par cette plume qui joue à nous sortir de l’intrigue pour mieux nous y replonger, à nous rappeler qu’on nous raconte une histoire presque comme une parabole, et que chaque histoire, c’est le miracle de la fiction, peut trouver en nous une résonance intime. Cette fois, c’est le chapitre qui donne son titre au roman qui a joué ce rôle, celui de me rappeler que le temps passe, et que les vagues que nous faisons auront tôt fait de retourner à la marée, laissant le sable vierge de nos traces.