« Nature humaine », 20 ans d’histoire rurale française

couverture-nature-humaineAlexandre grandit avec ses trois sœurs dans la ferme familiale, dont il sait qu’il héritera plus tard. À Toulouse, il rencontre la jolie Constanze, et pour lui plaire, se met à fréquenter des activistes anti-nucléaire…

De Serge Joncour, j’en reviens toujours à citer Repose-toi sur moi, le roman qui après L’Écrivain national acheva de me convaincre de son talent de conteur et de m’émouvoir. J’aimais cette rencontre de deux opposés, cette confrontation des univers et le portrait social de la France d’aujourd’hui qu’elle dessinait en filigrane.

Depuis, j’ai moins accroché à Chien-Loup, qui prônait bien trop le rejet des villes et le retour à la terre pour parler à la citadine pur jus que je suis. Il y a parfois des romans dont on peut reconnaître les qualités sans se sentir le public cible pour autant. Dans une certaine mesure, c’est aussi ce que j’ai éprouvé à la lecture de Nature humaine.

Pourtant, le roman est certainement ambitieux, à l’image de son titre, une expression si large et générale qu’elle mérite bien un pavé de 400 pages. On est presque chez Balzac avec sa Comédie humaine. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas de faire le portrait de tous les aspects d’une société à un moment donné, mais plutôt celui d’une France rurale et agricole sur près de 25 ans. Ce projet a sûrement donné lieu à un important travail de recherches pour arriver à être aussi réaliste et précis. On s’y croirait, entre les activités agricoles, le matériel, les programmes télévisés, les différents progrès matériels comme l’apparition d’une ligne téléphonique au début du roman et bien plus tard du combiné sans fil importé des États-Unis. En tant qu’étude sociologique de la France rurale du Sud-Ouest, avec ses enjeux et ses crises, le livre de Serge Joncour est une merveille, et il m’a en cela rappelé La vie d’un simple, que j’avais eu plaisir à étudier en classe prépa pour comprendre les conditions de vie des paysans du XIXe siècle.

Mais à travers le parcours d’Alexandre, le récit ne se contente pas de décrire une évolution, il laisse transparaître des jugements, ceux du personnage principal et de ses proches : comme son vieux voisin Crayssac, et ses amis révolutionnaires Anton et Xabi, Alexandre finit par être révolté contre l’idée même du « progrès » telle que la société la comprend : la construction d’une autoroute, l’accroissement des cheptels avec des méthodes de plus en plus hors sol à l’américaine… Aujourd’hui, avec les réflexions sur la décroissance et le bio, entre autres, ses réflexions ont du sens, mais dans le contexte de l’époque, on se demande si cela le fait paraître pour visionnaire ou juste aigri, comme l’action qu’il s’apprête à accomplir le laisse penser.

J’ai eu du mal à mettre le doigt sur ce qui me dérangeait vraiment dans le livre, hormis le peu d’attachement que j’éprouvais pour ce personnage qui ne dit jamais rien, garde pour lui ses rancœurs jusqu’à l’explosion, incapable de se battre autrement que dans l’ombre pour ce qui lui importe, se laissant trimballer au gré des rencontres avec des personnes ayant plus de caractère que lui. Et finalement j’ai trouvé. Ce que j’aimais dans Repose-toi sur moi, c’était la coexistence des deux voix, masculine et féminine, qui s’estompait déjà dans Chien-Loup. Ici, il ne reste que la voix d’Alexandre. Et par ses yeux, les personnages féminins sont tous réduits à des stéréotypes. La belle Constanze qui aime la nature comme un joli poster qui sent bon la menthe fraîche et rêve de sauver le monde, un vœu pieux en adéquation avec son physique de Miss, les trois sœurs égoïstes et individualistes, donc forcément plus à l’aise en ville, qui n’ont d’intérêts que l’argent qu’elles pourraient tirer de la ferme et leurs marmots, la mère vouée à faire tapisserie. Alexandre est peut-être un agriculteur amoureux de ses terres et de ses bêtes, un idéaliste résistant à la marche forcée qui sabote les beautés de la nature, il n’en reste pas moins un macho qui s’ignore, sous ses airs d’amoureux transi.

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