« Le discours », le repas de famille et le chagrin d’amour

couverture-livre-le-discoursAu cours d’un repas de famille, Adrien est pris de court par Ludo, son futur beau-frère qui lui demande d’écrire un discours pour son mariage avec Sophie. Mais Adrien ne pense qu’à Sonia, qui voulait faire une pause et ne répond pas à son sms…

J’ai découvert Fabcaro il y a environ 2 ans avec ses plus grands succès en BD (Et si l’amour c’était aimer ? et Zaï Zaï Zaï Zaï). Mais c’est à la sortie du confinement que j’ai pu me plonger plus à loisir dans son œuvre en piochant dans les rayons de ma médiathèque chérie. Ma priorité était de relire Zaï Zaï Zaï Zaï et de découvrir Le discours, sachant que les adaptations de ces deux livres devraient arriver prochainement sur nos écrans (le film de Laurent Tirard a même reçu le label Cannes 2020).

Je me demandais comment le style habituel de l’auteur, souvent associé à des gags en une planche, allait s’accommoder du format du roman. Je l’aurais sans doute davantage imaginé auteur de nouvelles. Aux premières pages de ma lecture, c’est d’ailleurs à un nouvelliste que le style m’a sérieusement fait penser, le Strasbourgeois Arnaud Modat, auteur de deux recueils qui manient un humour à la lisière entre l’absurde et l’ironie, avec une nette pente vers les recoins noirs et dépressifs de l’humanité. Clairement, le porte-serviettes de la cuisine à la forme incongrue n’aurait pas déparé dans son récent volume La démence sera mon dernier slow. Il faut dire qu’Adrien, dans les pensées duquel nous passons tout le roman, complices de son monologue intérieur associant présent, souvenirs, rêveries et prototypes du fameux discours, est un avatar de l’archétype bien connu du mâle cis hétéro occidental déprimé. Ce personnage qui hante la littérature française, se vautrant parfois dans l’alcool ou dans la poésie, tombant amoureux à intervalles réguliers de figures féminines éthérées et parfaites qui ne lui apporteront que du chagrin. J’avoue, cet avatar littéraire commence à me fatiguer, il a trop souvent les atours du nice guy de base, celui qui se plaint que les filles ne veulent pas de lui parce qu’elles aiment les mauvais garçons et que lui est « un gentil ».

Pourtant, en dépit de mes préventions, je me suis laissé gagner par une certaine affection, ou compassion du moins, pour cet anti-héros. Il a beau se considérer comme un loser de première classe, on comprend assez ce qui a pu plaire à l’espiègle Sonia chez « mon tendre Adrien » : sa timidité, son manque d’assurance chronique, son décalage permanent, sa sensibilité, son côté grand enfant – et c’est d’ailleurs ce que j’ai préféré dans le texte, les souvenirs d’Adrien et Sonia se comportant comme des ados, au point que j’ai eu du mal à visualiser les personnages comme des quadras. Il y a un côté rafraîchissant à ces figures masculines qui ne collent pas aux critères de virilité habituels, et ici tous les hommes interrogent les normes de la masculinité, du beau-frère féru de sciences au père conteur invétéré.

Mais l’ingrédient premier du succès, c’est le style de Fabrice Caro, qui développe ici son goût de la digression, de la référence, de l’image marquante intelligemment réutilisée de loin en loin comme autant de marques de connivence avec ses lecteurs/trices. L’ensemble produit un cocktail assez unique de mélancolie et de drôlerie fulgurante. On a l’impression d’assister à un numéro de clown blanc, de ne pas pouvoir retenir ses éclats de rire quand bien même on ressentirait la tristesse et l’angoisse viscérales de l’artiste, et on le prendrait en sympathie. Et conquise, à la fin de ma lecture, j’étais prête à me lever pour applaudir l’artiste.

Autant dire qu’entre chauffage au sol, gambas, tarte aux poires et tardigrade, le film a la pression pour ne pas galvauder l’humeur ni l’humour du roman !

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