Alors qu’elle a déjà une petite fille, une jeune mère découvre d’étranges taches sombres sur la peau de son nourrisson. Elle comprend que le petit garçon est mystérieusement métis et qu’il va foncer…
Je suis ravie d’avoir pu récupérer le deuxième roman d’Amélie Cordonnier juste avant le début du confinement car son premier, Trancher, m’avait fait forte impression, et c’est même un livre qui a eu une importance particulière pour moi.
Après avoir décortiqué avec finesse les mécanismes de la violence psychologique au sein d’un couple dont le mari toxique tenait l’épouse sous son joug, c’est à un autre sujet intime et social à la fois que s’attaque l’autrice. Dans Un loup quelque part, elle imagine une situation plus rare que les violences domestiques : la mue d’un bébé qui devient peu à peu noir, alors que ses deux parents biologiques et sa sœur sont blancs. Mais derrière ce cas si particulier, se révèle des sujets beaucoup plus larges et qui pourront trouver écho en des personnes qui ne vivent pas cette situation précise. Quand bien même nous ne voulons pas nous définir comme racistes, comment accepterions-nous de voir un membre de notre famille comme appartenant à une autre ethnie, ou révélant d’autres origines ? Comment assumer son héritage multiple et sa transmission ? L’amour maternel est-il inéluctable ? Et si l’on n’aime pas d’emblée son enfant, des solutions existent-elles à la culpabilité ? Autant de questionnements passionnants et complexes qui nourrissent ce récit à la troisième personne certes, mais qui adopte le point de vue de la femme en souffrance.
J’ai en particulier beaucoup aimé tout le début du récit, l’étrange apparition des taches, le jaillissement de l’angoisse, la recherche des causes, à la lisière du fantastique avec les références évidentes à Kafka. Sur le fil, l’autrice réussit à tenir la posture improbable de nous mettre dans l’empathie envers son personnage, quand bien même on aurait l’impression que l’histoire pourrait mal tourner, un peu façon Chanson douce. J’ai d’ailleurs cru pendant une bonne partie du livre que le récit allait s’orienter vers une telle noirceur (c’est le cas de le dire) et je crois que c’est même ce que j’en attendais, car j’aurais trouvé ça vraiment fort d’arriver à nous faire suivre de l’intérieur le cheminement vers le pire, et j’aurais même éprouvé une certaine fascination à ressentir de la sympathie pour une femme capable des pires extrémités dans la situation inédite qu’elle rencontre.
Mais finalement ce n’est pas totalement le chemin qui est ici déroulé, un peu plus lumineux, en tout cas à la recherche de solutions et de réponses aux questions soulevées (ce qui est sans doute plus productif en termes d’aide possible pour des personnes qui à la lecture se sentiraient au moins partiellement concernées).
L’histoire se déplie, inquiétante, obsédante grâce à la musicalité d’un texte qui fonctionne par jeux de sonorités et de mots, assonances, allitérations, répétitions, presque jusqu’à l’usure et l’écœurement. Ce côté entêtant s’illumine de références culturelles bien digérées qui viennent discrètement s’insérer dans le cours des pensées chamboulées de la mère : la lecture de L’Amie prodigieuse, les souvenirs de La Métamorphose, et des chansons comme « L’amour à la machine » ou « Drôle d’époque » qui viennent résonner avec le sujet.
Avec ce deuxième livre aussi fort que le premier, Amélie Cordonnier vient décidément s’inscrire parmi les autrices contemporaines les plus à même de décrypter les zones d’ombre de la vie des femmes d’aujourd’hui, leurs doutes, douleurs et épreuves qu’il n’est pas toujours aisé de porter à la lumière.
Tentant 🙂