« Papicha », la révolte au bout de l’aiguille

affiche-film-papichaNedjma étudie le français à Alger. Le soir, elle s’échappe de la cité universitaire pour aller danser et vendre les robes qu’elle dessine et coud avec l’aide de sa mère. Mais des affiches se multiplient pour imposer le hijab aux femmes…

Des mois que je vois passer l’affiche de ce film dans ma TL. À force de me demander quel était ce phénomène sur lequel je ne lisais que des éloges, je suis allée profiter du Club UGC pour le découvrir en avant-première.

J’ai eu un peu peur au début, le générique me paraissant s’étirer sur une scène de boîte assez banale (je confesse que je ne suis pas fan de ce type de scène en général : du bruit, des lumières aveuglantes, pas de dialogues possibles…). Heureusement, on entre assez vite dans le vif du sujet. Ce qui importe, c’est moins le lieu que ce qu’y fait Nedjma : vendre ses créations. L’idée de Mounia Meddour est excellente. Face aux islamistes radicaux qui cherchent à cacher le corps des femmes sous le hijab, quel meilleur moyen de symboliser la révolte que par des robes ?

Car Nedjma est un symbole, celui de la jeunesse algéroise prise dans la « décennie noire », quand des groupes islamistes armés faisaient régner la terreur jusqu’à causer la fuite de familles d’intellectuels vers la France (à l’instar de celles de la réalisatrice et de l’actrice Lyna Khoudri). Une jeunesse qui aime étudier, danser, chanter, rire. Mais au-delà de cette incarnation d’une génération, il y a ce qui fait la spécificité du personnage de Nedjma, et qui embarque les spectateurs/trices à ses côtés. Contrairement à son entourage, et en particulier aux garçons qui ne rêvent que de partir, l’héroïne de Mounia Meddour aime son pays et souhaite y construire sa vie en dépit des obstacles. Pleine d’énergie, cette jeune femme qui n’a pas la langue dans sa poche est aussi à l’aise à prendre des notes en amphi et dessiner des croquis sur ses carnets qu’à jouer au foot pieds nus sous la pluie avec ses copines ou ramasser des betteraves pour teindre des tissus. Nedjma est un mélange de créativité et d’action concrète, elle est à la fois terrienne et aérienne, forte et sensible. À l’écran, la révélation Lyna Khoudri rappelle un peu Oulaya Amamra dans Divines : un petit gabarit qui ne s’en laisse pas compter, crie sa rage et sa peine et se bat pour obtenir ce qu’elle veut. Cette incandescence filmée à fleur de peau frappe droit au cœur. Nous sommes Nedjma, nous sommes ces jeunes femmes que les sociétés patriarcales oppriment, qui doivent sans cesse se battre pour exister, pour déployer leurs talents, faire éclore leurs rêves, prendre la place que le monde leur refuse.

Mais Nedjma n’est pas seule. Elle a beau dire, son projet de défilé ne saurait aboutir sans la complicité de ses « sœurs », une galerie de portraits tantôt touchants tantôt drôles, de copines de la plus sage à la plus délurée qui font souffler un vent de vie et de fraîcheur sur ce film au fond tragique.

À chaque plan, Papicha nous saisit, nous fait ressentir l’urgence de vivre plus fort pour narguer la menace, et comprendre de l’intérieur cette période de l’histoire algérienne pas toujours connue des Français. C’est fort et bouleversant.

13 commentaires sur “« Papicha », la révolte au bout de l’aiguille

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  1. Un très beau film, bien servi par le casting. J’ai surtout apprécié le parti pris de la réalisatrice des montrer ces filles oppressées par leurs semblables. C’est-à-dire des femmes. Une grille de lecture qui retranscrit la complexité de la situation. Avec le constat que les solidarités ne sont pas là où elles devraient. Une œuvre qui nous rappelle que tout processus d’émancipation a un coût. Tragiquement

  2. Je viens (enfin) de voir le film et je suis d’accord sur ton analyse en tous points, excepté sur l’ouverture en boîte de nuit que j’ai trouvé très juste.
    Pour le reste, la mise en scène de Mounia Meddour et l’interprétation de Lyna Khoudri ne peuvent que fasciner. C’est vraiment un grand film et je regrette de ne pas l’avoir vu au cinéma.

      1. On peut remercier le Festival d’Aubagne pour son initiative en VOD du coup 😀 (sachant que Papicha a vu sa sortie vidéo complètement mise en suspend par le début du confinement)

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