J’ai rencontré Cédric Klapisch lors de l’avant-première parisienne de Deux moi fin juin. Il a gentiment accepté de trouver un moment pour répondre à mes questions par téléphone.
- Je voulais d’abord vous parler du titre Deux moi. Il indique deux destins, et le film est justement construit de manière symétrique et parallèle. Cette tendance à la symétrie, on avait déjà pu la repérer dans votre œuvre, jusque dans les épisodes de Dix pour cent que vous réalisez. C’est quelque chose que vous recherchez en particulier ?
Oui, sans doute. C’est un truc qui m’intéresse, visuellement en tout cas. Là le titre est basé sur la phrase de Camille Cottin, quand elle dit « Pour que deux moi fassent un nous, il faut que les deux moi soient soi ».
« Le groupe, c’est la résultante de gens uniques »
C’est le fait de dire que tout groupe est une somme d’éléments séparés. C ‘est quelque chose que j’ai vraiment vu à travers mes films, depuis le premier, Riens du tout. C’était un film où il y avait entre 20 et 30 personnages et je m’étais dit à ce moment-là, quand on traite une foule, ou quand on traite une entreprise ou un groupe de gens, il faut les traiter chacun séparément en fait. Il ne faut pas les traiter en tant que groupe. Et quand on parle de groupe, c’est la résultante de gens uniques. Deux moi c’est le fait de dire qu’un couple c’est avant tout deux « moi », deux individus séparés.

Donc sur ces effets de symétrie, forcément, dans le film c’est un montage parallèle de deux destins, deux personnes. Il y avait évidemment dans ce film des effets de symétrie… ou de décalage parce que le but c’était vraiment de dire l’opposé de « qui se ressemble s’assemble ». Ce sont deux personnes qui n’ont rien à voir, ils sont juste voisins, ils ont une rue en commun mais sinon il y a beaucoup de choses qui les opposent. Ils n’ont pas le même milieu social, pas la même déco, pas le même immeuble (il y en a un qui est moderne, l’autre ancien), il n’y a pratiquement que des choses qui les opposent et qui les séparent. Ce n’est pas une symétrie où les deux parties se ressemblent en tout cas.
- Cette construction et la vision du monde du travail comme un milieu hostile m’a fait penser au roman de Delphine de Vigan Les Heures souterraines, est-ce que vous le connaissez ?
Non je ne connais pas.
- Dans le roman justement on assiste au quotidien de deux personnages, qui passent une journée horrible, et on se dit que s’ils se rencontrent ça va les sauver. [SPOILER ALERT] Sauf qu’ils ne se rencontrent pas vraiment. Du coup pendant tout le film je me suis demandé si ça allait finir pareil.
Justement, quand on a commencé à écrire avec Santiago Amigorena, le scénariste, on se demandait : est-ce que c’est possible d’écrire une histoire comme ça ? Moi, mon idée de départ, c’était qu’ils se rencontrent dans la dernière scène. Et c’est une question que je lui ai posée : est-ce que tu penses que ça peut tenir 2 heures, d’attendre que les gens se rencontrent ? On a mis deux-trois semaines de travail avant de se dire « oui, ok, ça peut marcher », mais au début on n’y croyait pas trop à vrai dire. On est partis dans cette histoire en se disant « est-ce que c’est envisageable ? », parce que justement on ne connaissait pas d’exemples de ça.
Après, on nous a parlé d’un film argentin qui a la même structure. Du coup on l’a vu et ça n’a pas grand chose à voir.
- C’est Medianeras?
Oui. Mais ce film, je ne le trouve pas très réussi donc ce n’était pas un très bon exemple pour se dire « ça peut marcher ». On était un peu à l’aveugle sur la structure, c’était vraiment une tentative pour nous.
- Cette construction joue avec les attentes du spectateur, ça donne lieu à un certain suspens, et c’est une « pré-histoire d’amour », qui change de ce qu’on se donne comme image d’un film du genre comédie romantique. Vous vouliez jouer avec ces codes-là ?
Moi en écrivant, je n’étais pas du tout sur le fait de réaliser une comédie romantique. En général, à part Ni pour ni contre (bien au contraire) qui est un film de gangsters, un film policier, qui peut-être flirte avec la science-fiction mais qui essaye d’échapper au genre, pour tous les autres films, je ne me suis jamais dit « c’est une comédie, c’est une comédie dramatique ».
« Je n’écris jamais avec un genre en tête »
Pour moi Le Péril jeune d’ailleurs c’était une histoire un peu tragique et ça a été pris comme une comédie. Je n’ai jamais écrit avec un genre en tête. Donc là encore plus. C’est au moment de la sortie du film où c’est bien pratique pour le distributeur, pour plein de gens, de dire « ça renouvelle la romanticomédie ». Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec ça, parce que déjà c’est pas volontaire. Et puis une comédie romantique aujourd’hui c’est assez formaté, c’est assez normé. Que ce soit Quand Harry rencontre Sally, The shop around the corner, Love Actually, Coup de foudre à Notting Hill, ces espèces d’emblèmes de la comédie romantique, tous sont sur deux personnes qui se côtoient pendant tout le film et ne s’aiment pas, ou sont amies, ou se détestent, et c’est « comment ils vont apprendre à s’aimer ». Donc j’avais vraiment la sensation de ne pas être du tout sur ce format-là, sur l’idée que c’est un film avec deux personnages qui ont des relations, mais souvent ces relations sont tumultueuses ou négatives. C’est sur les frontières de l’amitié et de l’amour… Alors que pour moi là c’est vraiment autre chose, c’est vraiment un montage parallèle, le fait de dire « s’il y a deux personnes différentes, vont-elles se rencontrer ? ». C’est moi qui avais parlé de « pré-histoire de l’amour », parce que c’est avant une histoire d’amour.
- Mais par rapport aux comédies romantiques anglo-saxonnes stéréotypées que vous citez, en France on a plein de films qui remettent l’idée de comédie romantique au sens large au goût du jour en détournant les codes. Cette année il y en a plusieurs où, comme pour le vôtre, on a pu évoquer le terme dans la communication autour du film : Mon Inconnue, Perdrix… Qu’est-ce que ça vous inspire ça, que le cinéma français récent joue avec les codes ? On va vers un mélange des genres ?
Je dirais que ça c’est un peu une habitude française, c’est presque ce qu’a inventé la Nouvelle Vague. À bout de souffle, c’est un film policier mais ce n’est pas un film policier. Godard a tellement bougé le genre que du coup c’est difficile de l’appeler film policier. Et je pense que, surtout depuis la Nouvelle Vague, la France a toujours été assez amatrice de bouger les genres et les frontières. Ça, je dirais que c’est un jeu français classique.
Sur les films que vous mentionnez, autant je pense que pour Hugo Gélin, il a peut-être voulu frontalement faire une comédie romantique un peu fantastique, autant je ne connais pas le réalisateur de Perdrix mais je ne suis pas sûr qu’il ait voulu faire une romanticomédie. Après c’est comment les critiques de cinéma ou les distributeurs parlent des films, et là c’est dans leurs mains et chacun dit ce qu’il a envie de dire.
Je sais que moi sur mon film je n’appelle pas du tout ça une comédie romantique, et je n’ai pas cherché à en faire une.
- Ça veut dire que les cinéastes français feraient des films sans trop penser à les ranger dans un genre, et c’est à la communication qu’on a tendance à les rattacher à une étiquette ?
« On essaye d’échapper aux cases »
Bien sûr, c’est classique. C’est vraiment un truc français de vouloir ranger les choses dans des cases. Donc quand on est créateur, qu’on est réalisateur, scénariste, on essaye d’échapper aux cases. Ensuite les gens vous remettent tout le temps dedans.
Comme je vous dis, Le Péril jeune pour moi ce n’était pas une comédie, après les gens l’ont appelé comédie et je ne le critique pas. Ça fait rire donc je comprends pourquoi on l’appelle une comédie mais moi je raconte l’histoire de quelqu’un qui meurt d’overdose, c’était ça mon but, donc au départ ce n’était pas une idée comique.
- C’est intéressant parce qu’on dit de plus en plus qu’il y a un mélange des genres sur les générations récentes et en fait ça voudrait juste dire qu’on n’arrive de moins en moins à ramener les films dans des étiquettes.
« En France, on essaie de faire autrement »
Oui c’est ça. En tout cas très souvent la tentative américaine est opposée à la tentative française. La tentative américaine c’est très souvent de « faire comme ». Soit on fait le 7e Marvel ou le 7e Fast and Furious parce qu’on est dans la franchise, mais il y a aussi celui qui fait un film de braquage, et il faut s’inscrire dans la logique du film de braquage, ou le film d’amour, ou de guerre, etc.
En France, que ce soit Jean-Pierre Jeunet quand il fait Amélie Poulain, Mathieu Kassovitz quand il fait La Haine, ou Nakache et Toledano quand ils font Intouchables, ils ne sont pas en train d’essayer d’imiter un genre. Quel que soit le film, que ce soit un film grand public, commercial ou un film d’auteur, pareil pour le dernier film de Desplechin, il n’y a pas la volonté de rentrer dans un truc qui a déjà existé. Donc le geste américain, qui est souvent de faire comme ou aussi bien que, en France on essaie de faire autrement, c’est vraiment une volonté. Donc après, le fait qu’on vous ramène à « c’est comme dans machin » ou « c’est dans la case de truc », c’est un peu antinomique pour moi, toujours.
- C’est bien, vous venez de m’expliquer pourquoi j’aime le cinéma français ! Mais avec ce qu’on dit sur l’idée de faire autrement et d’être inventif, les critiques sur le cinéma français du genre « il y a trop de films, c’était mieux avant » comme dans le livre d’Éric Neuhoff, ça doit vous agacer, non ?
Ah bah complètement, oui ! C’est vrai qu’on m’a parlé du livre, je ne l’ai pas lu, mais je sais ce qu’il contient et je sais ce que ce monsieur écrit d’habitude. Effectivement, la pensée « c’était mieux avant », moi j’ai toujours trouvé ça ridicule. Et très souvent quand on me disait dans Chacun cherche son chat, ou là dans Deux moi, « est-ce qu’il n’y a pas une critique de la vie moderne ? » et tout ça : moi je ne critique pas du tout la vie moderne, je la prends telle qu’elle est et j’en montre les absurdités.
Mais moi j’aime bien la vie moderne, avec ses contradictions et ses bizarreries. Je ne dis pas du tout « la vie était mieux avant », je pense que la vie est mieux aujourd’hui en tout cas.
« Je crois à l’infini de la création »
Et la critique justement, j’essaie de ne pas trop la lire, parce qu’elle ne m’aide pas à créer, ce n’est pas un truc moteur. Donc là le livre d’Éric Neuhoff, moi je ne vais pas lire ça, je sais que ça ne va rien m’apporter, je ne suis pas d’accord à la base.
Mes profs à la fac, dans les années 80, quand je faisais des études de cinéma, ils disaient « c’est la mort du cinéma », ils disaient un peu comme Éric Neuhoff mais pas pour les mêmes raisons, ils disaient « tout a été fait, on ne pourra plus aller au-delà de la création qui a été faite par Godard, Truffaut, Rohmer… ». Heureusement que je ne les ai pas crus ! C’était super dur quand on a vingt ans de se dire « j’arrive au moment où tout a été fait ». C’est un peu ridicule. Je crois vraiment à l’infini de la création, au fait qu’il y a toujours un renouvellement. On peut encore inventer des choses.
- Donc je ne vais pas vous demander si le film dit que c’était mieux avant, mais il dit quand même qu’il y a des gens qui sont seuls et qui sont malheureux, déprimés… Dans le film, la solution c’est d’aller voir un psy.
Alors c’est d’aller voir un psy, et d’aller danser ! Et d’aller à l’épicerie. C’est de sortir de chez eux, c’est un peu déjà ce que je disais dans Chacun cherche son chat, en fait le remède à la solitude c’est de sortir de chez soi. C’est assez con à dire, mais nous on vit dans une époque où on a l’impression que le clic nous sauve, peut régler les problèmes. Le clic peut marcher avec Amazon et la Fnac, mais marche un peu moins bien pour les histoires amoureuses. Après je sais qu’il y a des gens qui rencontrent la femme ou l’homme de leur vie sur Tinder, sur Grindr, sur Meetic ou n’importe quelle appli comme ça, ça existe de rencontrer quelqu’un d’important, mais il y a quand même une notion de leurre.
« Faire la publicité du réel »
Quand il s’agit des relations sociales, des relations humaines ou amoureuses, on rentre dans une complexité, dans des choses mystérieuses qui font que le réel est meilleur que le virtuel. Le film est juste pour faire la publicité du réel en fait, pour dire le réel c’est toujours mieux que le fantasme de la réalité.
- Mais sans les conseils de leurs psys, ils ne le feraient pas, ce chemin d’aller vers le réel…

Ah ça, c’est sûr ! Je crois au fait qu’il y a des professionnels quand on ne va pas bien. Avant c’était beaucoup la religion qui jouait ce rôle-là. Les catholiques allaient se confesser, les juifs allaient voir le rabbin et les musulmans l’imam, je sais pas trop comment ça marche dans chaque religion, mais en tout cas il y avait un accompagnement qui vous donnait l’impression que ce n’était pas que la famille ou les amis qui vous donnaient des conseils.
Et aujourd’hui c’est effectivement plus un psy. Bon, tout le monde ne va pas voir un psy, mais en tout cas quand on ne va pas bien, qu’on est en déprime ou a fortiori en dépression. La dépression c’est une maladie donc il faut aller voir un professionnel. C’est comme une grippe je dirais, il ne suffit pas de prendre trois médicaments que vous allez trouver chez le pharmacien, faut aller voir un docteur.
Eux deux en tout cas, lui s’évanouit dans le métro, il voit qu’il ne dort plus, dans ces cas-là il vaut mieux aller voir quelqu’un, oui.
- Est-ce que vous avez eu des retours de spectateurs/trices là-dessus qui vous ont dit que le film avait eu un effet de thérapie ou les avait poussés à consulter ?
Beaucoup oui, je n’ai jamais eu autant de retours d’ailleurs ! C’est drôle de voir à quel point je me disais en écrivant « ohlà c’est pas très sexy d’écrire sur deux déprimés » et quand on vendait le film c’était compliqué de dire « c’est deux personnages en dépression qui vont voir des psys », on n’a pas du tout communiqué là-dessus, parce qu’on sait que ce n’est pas très attirant. Mais au fond c’est ça qui plaît le plus dans le film. C’est ça qui est paradoxal dans le monde dans lequel on vit, c’est que les retours positifs que j’ai du film c’est « c’est super on voit des gens qui ne vont pas bien ». Et on donne des solutions, aussi, pour aller mieux. Donc ça les gens aiment beaucoup, en fait.
« Il y a une dictature du smile, une dictature du like«
Et c’est très étrange que tout l’aspect publicitaire du cinéma, le marketing, la bande-annonce, tout ce qu’on fait, l’affiche et tout ça, où je n’ai pas voulu mentir, donc sur l’affiche, on voit qu’ils ne vont pas bien – j’ai lutté pour qu’ils ne soient pas souriants sur l’affiche – on voit bien que c’est antinomique avec le monde dans lequel on vit. Dans le monde dans lequel on vit, il y a une dictature du smile, une dictature du like. C’est comme sa façon de s’auto-présenter dans Facebook ou Instagram, il faut la belle maison, sourire, montrer les moments joyeux… et on ne montre pas le moment où on vient de rater un job, où on est licencié, où on vient de se faire plaquer, où on pleure… Y a pas ces images-là sur Facebook et sur Instagram. Tous ces moments où on ne va pas bien dans sa vie, ils sont absents des réseaux sociaux.
Donc j’ai bien vu qu’en faisant le film et en faisant la publicité du film, je suis dans la problématique du film en fait.
- Il y a quand même parfois des gens qui disent qu’ils ne vont pas bien et demandent de l’aide…
Oui mais ce n’est pas par les réseaux sociaux qu’on se fait aider. Tout ce qui est Twitter, Facebook, Instagram, ce ne sont pas des lieux où il faut converser avec les autres. Ça fait longtemps que je sais qu’aucun débat politique ou autre n’est viable sur Facebook. C’est un puits sans fond de haine et d’avis qui ne sont même pas représentés par une personne humaine. J’ai tenté il y a longtemps sur Facebook de rentrer dans des débats, j’ai compris que ça n’allait nulle part. Débattre, ça se fait dans une salle en face des gens, mais ce n’est pas, encore une fois, avec une médiatisation virtuelle où les gens parlent derrière des masques, et c’est fou justement à quel point il n’y a plus de parole. Donc c’est encore plus vrai pour un psy : c’est quelqu’un en face de soi, ce n’est pas quelqu’un à qui on va téléphoner.
Quand je dis « rappeler l’importance du réel », c’est ça. C’est le réel avec l’épicier en face de soi, le psy en face de soi, la personne avec qui on danse en face de soi. C’est ce rapport concret qui manque terriblement aujourd’hui.
- Et vous pensez que le cinéma peut quelque chose là-dessus ?
« Le rôle du réalisateur, c’est d’être en alerte »
Oui, parce que je pense que le cinéma, et le rôle du réalisateur, c’est d’être en alerte et de dire « regardez, aujourd’hui c’est comme ça ». Ce n’est pas pour dire « avant c’était mieux », c’est pour dire, voilà, on a des nouveaux outils, on les adore (moi j’adore mon téléphone portable, j’adore Internet, j’adore les ordis), mais ça change notre quotidien. Ça change le rapport qu’on a les uns avec les autres. Et regardez ce que ça provoque. Ça provoque plus de jalousie quand un couple se sépare, ça devient un acte de couper le compte Instagram ou Facebook de l’ex-conjoint parce que sinon c’est trop difficile de voir l’autre qui sort avec des hommes ou des femmes… Donc il y a des actes nouveaux à faire. Les psys que j’ai rencontrés me disent qu’il y a beaucoup de patients nouveaux qui sont beaucoup liés aux réseaux sociaux. Les réseaux sociaux fabriquent certainement du lien quelque part mais fabriquent aussi beaucoup de maladies nouvelles, de problèmes nouveaux. Donc oui, le cinéma, ça sert à regarder autrement et à alerter les gens, et ce n’est pas le même discours que les infos qu’on lit dans la presse où qu’on voit à la télé, ce n’est pas le même discours que les journalistes, que les sociologues. C’est vraiment un regard sur la vie, qui n’est pas celui que l’on est habitué à avoir.
Moi je sais que Woody Allen m’a appris beaucoup de choses sur le rapport de couple. Je sais que j’ai appris à ne pas faire certaines erreurs avec les femmes avec qui j’ai vécu, parce que Woody Allen avait fait les erreurs pour moi dans les films. J’aime bien que le cinéma serve à ça. C’est dans ce sens-là que je parle d’alerter, il y a un côté « une personne avertie en vaut deux ». On est un peu plus fort parce qu’on a vu des choses exister dans des films et on se dit : est-ce que j’ai réellement envie de passer derrière ça ?
- Je voulais vous parler un peu de musique, parce que je trouve que dans vos films il y a souvent des titres marquants, et je voulais savoir comment vous avez choisi la chanson que Mélanie chante dans son bain ?

C’est une chanson que j’ai toujours beaucoup aimée, que j’ai beaucoup réécoutée récemment et je me suis rendu compte que les paroles de la chanson racontent le film, sur l’envie d’amour. Je me suis posé la question de prendre ça comme titre d’ailleurs, « C’est l’histoire d’un amour » parce que c’est vraiment ça, c’est l’historique d’un amour. « L’histoire d’un amour », c’est pas la même chose qu’« une histoire d’amour ». Et la chanson est assez précise là-dessus, sur le fait qu’on cherche tous l’amour et que l’amour c’est à la fois grandiose, magnifique et en même temps banal. Et la chanson est très belle sur ça, sur le rapport de la banalité avec ce côté infini, grandiose. Il y avait une espèce d’évidence à utiliser cette chanson. Et je me suis dit, dans la mesure où finalement c’est un peu le truc qui les rapproche, elle va écouter la musique puis du coup lui va avoir envie de l’écouter aussi, je me suis dit que c’était bien que ce soit une chanson sur ça.
« Coller la musique au Paris d’aujourd’hui »
Et sur la musique en général, je travaille avec Loïk Dury depuis vingt ans. Que ce soit le générique de début, la musique qu’il a faite pour le flashback quand Mélanie se souvient de la vie avec Guillaume, son ex, ou la musique de la fin, toutes les musiques qu’il a inventées avec Christophe Minck (ils sont deux en fait à faire la musique de mes films), là c’était volontairement très électro. On est vraiment dans des matières sonores, ce que lui appelle « électro modulaire ».
Ce sont des nouveaux outils, qui ne sont plus des synthés midi, ce n’est plus électronique, c’est électrique maintenant. Du coup il y a des nouveaux sons qui apparaissent, et ça c’est mélangé avec des vieux instruments. Donc il y a vraiment toute une pensée autour de la musique où comme Paris est fait de vieux immeubles et d’immeubles modernes, là la musique est faite de façons de faire de la musique à l’ancienne et de façons de faire modernes, et du mélange des deux. Il y a une idée assez conceptuelle de coller la musique au Paris d’aujourd’hui.
- Ça reflète l’idée que le film parle de la modernité avec les applis et en même temps de quelque chose d’universel et d’ancien qui est : comment on rencontre quelqu’un ?
Oui, exactement. Le film est beaucoup bâti aussi sur cette idée de symétrie entre le moderne et l’ancien. C’est pour ça que j’ai choisi deux immeubles, un ancien et un moderne ; il y a beaucoup de choses qui sont liées à cette opposition.
- Finalement ça s’oppose mais pas tant que ça, ça se combine.
C’est cette idée que l’amour ou la solitude c’est à la fois dans la modernité et en même temps ça ne date pas d’hier ! Le fait d’avoir envie de rencontrer quelqu’un ça ne date pas d’hier, mais il y a une façon moderne d’aborder ça, c’est vraiment ça l’axe du film.
- Souvent dans vos films, on retrouve les mêmes acteurs et actrices, là vous en retrouvez deux de votre film précédent, est-ce que vous savez déjà qui vous allez retrouver dans le prochain ?
Non, là je suis en train de réfléchir à ce que je fais après, je n’en ai aucune idée, donc je ne sais pas du tout. Là je pars vraiment de zéro. Alors qu’après Ce qui nous lie j’avais très envie de travailler avec les trois. Pio Marmaï, je lui avais proposé un rôle, il a refusé, d’ailleurs je pense qu’il a bien fait. En tout cas François et Ana, j’avais très envie de retravailler avec eux, il y avait vraiment le fait d’appuyer quelque chose, d’approfondir un travail qui avait été initié dans Ce qui nous lie.
C’est vrai que j’ai fait 7 films avec Romain Duris, je ne sais pas combien j’en ai fait avec Simon Abkarian mais il est souvent présent dans mes films, et Zinedine Soualem est dans tous mes films. Mais il y a aussi beaucoup de nouveaux venus en fait. Je suis aussi sans doute un des réalisateurs qui a fait exister beaucoup d’acteurs. Il y a beaucoup de jeunes acteurs qui ont démarré avec moi. Il y a toujours eu les deux, des gens que je retrouve et des gens que je découvre ou que j’aide à faire découvrir.
- Est-ce qu’il y a des gens que vous avez repérés avec qui vous aimeriez particulièrement travailler ?
« Beaucoup de jeunes acteurs super intéressants »
Il y a beaucoup de jeunes acteurs super intéressants dans la nouvelle génération. Je trouve qu’on est dans un bon moment. Il y a des moments où il n’y a pas forcément beaucoup de gens qui apparaissent mais là il y a vraiment plein de nouveaux venus où ça donne envie : Zita Hanrot, Kévin Azaïs, Pablo Pauly, Dylan Robert et Kenza Fortas de Shéhérazade, et il y en a encore plein dont je ne connais pas les noms…
- C’est vrai qu’on est dans une période super intéressante avec plein de gens qui arrivent à la fois en termes de réalisation et de nouvelles têtes à l’écran…
Donc vous n’êtes pas d’accord avec Éric Neuhoff en fait ! (rires)
Un très grand merci à Cédric Klapisch pour cette conversation passionnante.
Deux moi, actuellement en salles.
Dix pour cent, Riens du tout, Ni pour ni contre (bien au contraire), Le Péril jeune, Chacun cherche son chat et Ce qui nous lie, disponibles en DVD/VOD.
Pouah la classe ! L’entretien est passionnant et les questions sont très pertinentes. Félicitations !!!
Merci infiniment ! Je suis toujours très heureuse et honorée quand un réalisateur accepte de répondre à mes questions, c’est vraiment une des choses que je préfère parmi les opportunités que m’apporte le blog.