Rémy et Mélanie sont voisins. Tous les jours ou presque, ils se croisent sans se voir. Lui travaille chez une enseigne de e-commerce qui remplace ses employés par des robots, elle fait de la recherche contre le cancer. Tous deux traînent dans Paris leur déprime quotidienne…
Alors que je n’ai pas gardé un bon souvenir de L’Auberge espagnole, j’avais beaucoup aimé le dernier Klapisch. Ce qui nous lie me rappelait le cinéma de Rémi Bezançon, un de mes réalisateurs préférés, et j’avais été séduite par la fratrie Pio Marmaï – François Civil – Ana Girardot. Quand j’ai su que le nouveau film du cinéaste allait de nouveau rassembler les deux derniers, j’ai aussitôt eu hâte de le voir.
Je me permets d’emprunter le titre de cette chronique à François Civil qui a naturellement défini ainsi le long-métrage lors de l’avant-première à laquelle j’ai eu la chance d’assister. En effet, rien ne me semble plus juste que cette expression pour qualifier ce film à la construction si particulière. Ce qui frappe d’abord c’est le sens de la symétrie du réalisateur, qu’on avait déjà pu repérer précédemment (et qui est en particulier flagrant dans les épisodes de Dix pour cent qu’il a réalisés, merci à Va. qui m’a fait cette réflexion récemment) et qui ici construit toute l’esthétique du film. En effet le long-métrage s’attache à deux existences parallèles, à la façon des Heures souterraines, le roman de Delphine de Vigan : on suit Mélanie et Rémy, voisins qui s’ignorent, et tout l’enjeu du film tient évidemment à la possibilité de leur rencontre. Alors, ces deux-là vont-ils ou non s’apercevoir de l’existence si proche de l’autre ? On pourrait penser que la réponse affirmative est évidente mais justement Les Heures souterraines nous a appris que l’évidence n’est pas toujours accomplie…
Cédric Klapisch filme avec tendresse et sans les juger ces jeunes gens d’aujourd’hui en proie à la solitude existentielle des grandes villes et des réseaux sociaux. L’une peine à dépasser sa rupture et découvre Tinder avec espoir et circonspection, l’autre se débat avec la culpabilité d’avoir été promu quand ses collègues ont été virés et s’inscrit sans envie sur Facebook. Tout cela dans un Paris réaliste (malgré un trucage dans la construction des immeubles voisins) avec à la fois ses transports anonymes (on notera la très jolie réplique sur l’aspect positif de l’anonymat) et ses commerçants de quartier toujours prêts à rendre service. J’ai d’emblée été séduite par ces deux personnages malheureux, même si au début du film on en sait assez peu sur eux. Car Deux moi est aussi un film sur la psychanalyse et est construit en fonction de ce sujet, comme un dévoilement progressif du passé et des failles de Mélanie et Rémy. Certaines phrases prononcées par les psys (François Berléand et Camille Cottin, tous deux excellents dans cette profession) peuvent sembler stéréotypées mais elles produisent pourtant leur effet sur les protagonistes qu’on se plaît à voir évoluer… et sur les spectateurs/trices. Au vu des réactions dans la salle à la fin du film, je ne suis clairement pas la seule à avoir eu l’impression d’avoir eu droit à une thérapie accélérée en le découvrant. Forcément, cela remue beaucoup de choses, et pour peu que vous vous sentiez des points communs avec les personnages, la séance peut être très riche en émotions (oui, j’ai fini en pleurs, vous avez l’habitude).
Pourtant, ne craignez pas que le propos sur les réseaux sociaux et la solitude (qu’on peut rapprocher en partie de Celle que vous croyez, un autre très bon film français de cette année) ne soit trop plombant : le film sait aussi faire éclore des moments de légèreté, et même nous faire rire avec – mais jamais de – ses personnages. S’il fallait encore vous convaincre de courir le voir : vous y découvrirez aussi Ana Girardot qui chante du Dalida dans son bain, la théorie de la géniale Eye Haïdara sur les burgers, et les plus jolies scènes avec chaton que j’aie pu voir au cinéma (et c’est vraiment très très mignon).
Je craignais un film débordant de clichés, mais ta critique me booste ; merci !
Avec plaisir !