Un maire a pour projet de faire construire dans son village vendéen une médiathèque. Le projet déplaît fortement à l’instituteur qui craint qu’on abatte un saule centenaire. Une journaliste politique décide de faire un reportage sur l’affaire…
J’ai profité de l’été (en fait surtout d’être enfermée pour cause médicale) pour découvrir plusieurs films d’Éric Rohmer. Après les Contes des quatre saisons (Hiver, Printemps, Été), j’ai opté pour certains des Contes et proverbes, mais entre temps, j’ai voulu découvrir ce film pour une raison bien particulière : on y entend à la radio la voix d’un philosophe que j’ai eu comme professeur durant mes études.
J’ai été rapidement étonnée par ce film, que j’ai trouvé très différent de ceux du cinéaste que j’avais déjà vus. Alors qu’habituellement les personnages sont avant toute chose préoccupés par leurs affaires sentimentales ou amicales, ici le sujet est beaucoup moins intime. C’est véritablement un film sur la politique, et même un film politique que livre Rohmer avec cette réflexion autour d’un village, de son maire et de ses habitants. Il doit me manquer des éléments pour saisir précisément le contexte électoral de 1992 (oui, j’étais née, mais bien petite !), donc certains des tenants et aboutissants de l’intrigue (notamment lors de l’introduction avec François-Marie Banier en terrasse). Toutefois on comprend aisément l’enjeu du projet de médiathèque : d’un côté, un projet culturel d’envergure qui peut donner au maire le brillant suffisant pour gagner des voix aux législatives, de l’autre les opinions des habitants du village, à commencer par l’instituteur et sa fille, fervents défenseurs d’une réutilisation des bâtiments existants pour ne pas gâcher les paysages naturels du village.
Si vous pensez que ce débat est ennuyeux à suivre, détrompez-vous. Le cinéaste le rend très vivant par son découpage en chapitres (élégamment titrés façon leçon du jour dans un cahier d’écolier), qui permet de varier les tons et les formes. J’ai en particulier été assez surprise par la partie interviews où la journaliste (Clémentine Amouroux) fait parler tous les gens du village. On est dans un quasi documentaire qui rappelle « L’Amour est dans le pré » ! Pour autant dans son ensemble le film est une vraie fiction bien construite, car c’est au fil des rencontres successives que les personnages gagnent en profondeur et que les spectateurs/trices peuvent se faire un avis sur la controverse.
Le casting est impeccable et participe à la vitalité du film, à commencer par Fabrice Luchini en hussard noir des temps modernes, et Clémentine Amouroux en pigiste foncièrement passionnée par son sujet. J’ai adoré le rôle d’Arielle Dombasle, autrice citadine jusqu’au bout des ongles aux réparties tordantes (si vous voulez la voir imiter le cri du dindon, je vous assure que ça vaut le détour), mais beaucoup plus sensée qu’elle n’en a l’air. Même s’il bafouille un peu par moments (le charme des films de Rohmer où on a l’impression qu’on ne refait jamais les prises quitte à ce qu’elles soient imparfaites), Pascal Greggory compose un homme politique crédible, empêtré dans ses contradictions.
Étonnant jusque dans sa chute qui semble être un hymne à la gloire du télétravail (le cinéaste aurait donc été sérieusement en avance sur son temps !), ce film m’apparaît comme un OVNI dans la carrière du réalisateur, qui prouve ici que son cinéma intellectuel et très écrit peut s’adapter à d’autres sujets que les égarements du cœur. Une excellente surprise.