Entretien avec Rémi Bezançon autour du film Le Mystère Henri Pick

 

remi-bezancon
Crédit photo : © Gaumont Distribution

affiche-film-le-mystere-henri-pick

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai pu rencontrer Rémi Bezançon à l’issue de la Cinexpérience SensCritique de son nouveau film Le Mystère Henri Pick. Il a accepté un entretien téléphonique avec beaucoup de simplicité.

  • Le film évoque le milieu de l’édition, assez peu connu du grand public. Vous êtes-vous simplement appuyé sur le roman pour montrer la réalité de ce milieu, ou l’avez-vous infiltré d’une manière ou d’une autre ?

En fait ma co-scénariste vient de l’édition, ça m’a bien aidé. Elle a passé dix ans dans l’édition en tant qu’assistante éditoriale, donc elle a largement côtoyé ce milieu. Plus David Foenkinos qui connaît bien ce monde, cela suffisait. On lui a fait relire le scénario en particulier par rapport à cette question de véracité de ce milieu.

luchini-mystere-henri-pick
Crédit photo : © Roger Arpajou / Gaumont
  • Ce film est pour vous un retour à l’adaptation littéraire. Est-ce un exercice que vous appréciez particulièrement ?

Non, pas plus que ça. J’aime bien raconter des histoires et là cette histoire me plaisait. Cette idée me plaisait, car je suis pas mal sorti du livre de David Foenkinos. De toute façon je mets toujours le même temps à écrire mes scénarios, en gros entre huit mois et un an. Là c’était pareil, je n’ai pas été plus vite. Ce n’est pas parce qu’on adapte un livre qu’on va plus vite, bizarrement. Il faut aussi se débarrasser de plein de choses dans un livre, et puis un livre ce n’est pas un film, donc ça nécessite quand même une écriture complète.

« J’aime que le livre me laisse assez de place pour raconter une histoire »

  • Vos adaptations sont particulières, car elles ne copient pas les livres… Déjà dans Un heureux événement on pouvait observer la différence.

unheureuxevenement

Ah oui, Un heureux événement c’est hyper différent ! C’est normal, parce que ce sont des réflexions philosophiques sur la maternité, dans le livre d’Éliette [NDLR Abécassis]. Du coup il y avait tout à écrire, il n’y avait pas vraiment d’histoire. Mais c’est ça que j’aime, que le livre me laisse assez de place pour raconter une histoire.

  • Vous tournez souvent avec les mêmes acteurs, vous travaillez avec la même co-scénariste, vous êtes ami avec David Foenkinos… Pour vous un film c’est avant tout une histoire de troupe, de famille ?

Oui, faire un film c’est de toute façon une histoire de troupe ! On ne fait pas un film comme on écrit un roman, c’est un sport collectif le cinéma. Moi je ne suis que le chef d’orchestre d’une équipe, je me considère vraiment comme ça.

Retrouver des gens que l’on connaît, c’est plus agréable, après parfois on a envie de nouveauté. Mais en général je suis assez fidèle aux gens avec qui je travaille. Il y a des petites évolutions dans l’équipe mais il y a vraiment des pièces maîtresses. Si je les perds, je sais ce que je perds, après je ne sais pas ce que je gagnerais à chercher quelqu’un d’autre.

Je bosse quand même avec des gens qui ont débuté avec moi : leur premier film, c’était mon premier film. C’est une longue histoire.

luchini2-mystere-henri-pick
Crédit photo : © Roger Arpajou / Gaumont
  • Il y a tout de même des nouveaux visages dans celui-ci. Le rôle de Fabrice Luchini a été écrit pour lui, mais comment Alice Isaaz et Bastien Bouillon sont-ils arrivés dans le film ?

Par casting. En fait, Alice, je l’avais repérée dans d’autres films. J’aimais bien son jeu, sa blondeur hitchcockienne, en fait c’est ça qui me plaisait. Elle a un côté hitchcockien, une froideur… Ça me plaisait bien pour ce personnage. Je lui ai quand même fait passer des essais, même si je savais que je voulais la prendre dans le film. Elle s’est prêtée au jeu. Et elle a été très bien.

Pour le rôle de Bastien Bouillon, j’ai vu pas mal de comédiens. [SPOILER ALERT] Je ne voulais pas forcément une gueule connue, je ne voulais pas qu’on puisse se dire « tiens, il est important », et en fait, il EST important. Et puis il m’a fait des super essais, il a très bien compris l’essence de ce personnage d’écrivain un peu maudit, il le joue plutôt très bien.

« La transmission, pierre angulaire de mes films »

  • Avec ce film sous forme d’enquête, vous changez un peu d’univers par rapport aux précédents, mais on peut trouver une continuité thématique autour de la question de la transmission.

zarafa

Ça c’est vrai. C’est vraiment des choses présentes dans tous mes films, la famille, la transmission, y compris dans mon dessin animé, Zarafa, qui parle beaucoup de transmission et de famille, la famille qu’on se construit. C’est la pierre angulaire d’un peu tous mes films.

  • Ce qui m’a aussi marquée dans plusieurs de vos films, c’est la musique. Le Premier jour du reste de ta vie est le titre d’une chanson, pour Ma Vie en l’air il y a eu la chanson de Jeanne Cherhal…

lepremierjourdurestedetavie

Jeanne Cherhal a écrit la chanson pour le film. Alors que pour Le Premier jour, la chanson existait mais je ne le savais pas. C’est assez marrant cette histoire : je ne connaissais pas la chanson, c’est ma productrice qui m’a dit, en voyant le titre du film que je lui proposais « Ah mais c’est une chanson de Daho ». Du coup j’ai écouté la chanson, je l’ai trouvée super et on l’a mise dans le film.

  • En général, les musiques sont importantes dans la création de vos films ?

Oui, c’est toujours assez important. Là j’ai changé de compositeur, j’ai repris celui de Zarafa, Laurent Perez Del Mar. J’ai arrêté avec Sinclair, je pense qu’on avait fini notre collaboration. J’avais essayé quelqu’un d’autre sur Nos Futurs, mon film précédent, mais ça ne s’était pas bien passé, et là sur Le Mystère Henri Pick ça a été vraiment une très bonne expérience.

« Chaque plan a sa raison d’être »

  • Je trouve qu’il y a quelque chose de singulier dans votre façon de filmer le changement de posture des personnages, je pense à la scène où la caméra suit Fabrice Luchini qui se lève, et à celle dans Un heureux événement où le personnage féminin est ivre et s’assoit, et on voit que tout tangue. Est-ce que vous considérez que vous avez une patte, un truc particulier dans la façon d’accompagner les personnages ?

Je travaille beaucoup ma préparation, je découpe beaucoup mes films. Ce sont des questions que je me pose au découpage. Je n’arrive jamais sur le plateau sans savoir ce que je vais faire, j’ai toujours une base assez solide, même si elle peut évoluer. Chaque plan a sa raison d’être. Là je trouvais ça intéressant par rapport à ce qu’il vit de faire ce plan-là. Dans Un heureux événement, je me souviens, c’est quand elle se bourre la gueule la première fois qu’elle ressort. C’est bien vu, c’est deux fois après que les gens boivent en fait, c’est le même principe. C’est peut-être « se mettre la tête à l’envers » en fait, j’ai voulu imager l’expression. (rires)

  • Finalement ça veut dire que c’est assez littéraire comme façon de faire du cinéma…

Oui, franchement. Surtout avec ce film-là, c’est ça qui m’amusait, de jouer avec la littérature. C’est vrai, je reste un cinéaste assez littéraire, en fait. Et, j’espère, humain. C’est ce que j’ai envie de faire. Après chacun est libre de juger, mais c’est ce que j’aime.

« J’étais arrivé à la fin d’un cycle »

  • « Humain » en effet. Mais alors que les films précédents venaient nous bouleverser, Le Mystère Henri Pick nous épargne davantage…
cottin-luchini-mystere-henri-pick
Crédit photo : © Roger Arpajou / Gaumont

Oui celui-là a un côté plus ludique, c’est une fantaisie. Dans mes films précédents, je ne cherche pas l’émotion mais je parlais de choses plus intimes, donc à un moment donné l’émotion arrive même si on n’en a pas envie, elle est là. Dans celui-là, je ne me suis pas posé la question « tiens c’est émouvant ». C’était une fantaisie, une enquête littéraire, un film assez ludique, assez feel good. C’est pas le film le plus émouvant que j’ai fait, j’en suis conscient. Mais il faut changer parfois. Avec Nos Futurs, j’étais arrivé à la fin d’un cycle, je pense. J’ai parlé de choses qui me touchaient dans mes quatre premiers films – je mets Zarafa volontairement de côté – de choses en rapport avec ma vie de jeune adulte, puis adulte, et là je passe à autre chose. Je change de cycle, on va dire. Mais c’est très bien. Ça fait de l’air, et puis je ne peux pas rester sur le même créneau toute ma carrière. Et puis j’en avais marre, en fait.

  • Donc après un cycle plutôt intime, maintenant vous allez raconter des histoires plus différentes de vous ?

On parle toujours de nous, dans nos films. J’y reviendrai peut-être, je ne sais pas. Là, je suis parti sur un cycle : j’ai envie de faire une trilogie sur l’art. Donc là, la littérature, le prochain ça va être sur la peinture, et le troisième sans doute le cinéma, et sans doute les trois avec Fabrice Luchini. Et c’est vraiment une trilogie ludique, fantaisiste, sur l’art, et ce que représente l’art aujourd’hui. On est moins dans l’introspection, dans le film personnel, mais c’est bien.

  • Et ce sera encore des adaptations ou les deux prochains seront des histoires originales ?

Vous verrez. (rires) Je ne peux pas en parler.

« Ça m’a manqué de ne pas tourner »

  • Pourquoi avez-vous mis plus de temps à revenir après Nos Futurs qu’entre vos films précédents ?

nos-futurs.jpg

Parce que j’ai fait un enfant ! Et je m’en suis occupé et c’était bien, de prendre une pause, d’élever mon enfant. Je suis resté vraiment avec lui pendant un an, et c’était super, je ne regrette pas du tout. Parfois j’aime bien prendre des pauses, là c’était une pause qui correspond à un changement de cycle, donc tout va bien. Là je vais sans doute tourner mon prochain film l’an prochain, je vais grignoter une année par rapport aux trois ans que je mets habituellement entre deux films. J’espère plutôt faire un film tous les deux ans plutôt qu’un tous les trois, maintenant. Ça m’a manqué de ne pas tourner.

Après, Nos Futurs n’a pas eu le succès escompté. C’est un film qui n’a pas marché, on ne va pas se mentir, mais que j’aime beaucoup. Même s’il y a des petits défauts dans le film, j’y suis assez attaché. J’aime tous mes films en fait.

  • Pourquoi a-t-il moins connu le succès que les précédents, à votre avis ?

Je me demande si je n’ai pas fait une petite erreur de casting avec Pierre Rochefort en fait. C’est ma grande question. J’ai hésité longuement. Je me demande… Vous avez vu le film ?

  • Oui, je l’aime beaucoup.

C’est gentil. C’est un film que j’aime beaucoup aussi, j’adore sa structure. Je pense que c’est un film beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. [SPOILER ALERT] Il mélange vraiment les genres, on est dans la comédie, le buddy movie, puis à un moment donné on twist, on passe dans un truc très sombre, très dark. Ça a beaucoup perturbé les gens. En même temps, Un heureux événement aussi avait perturbé parce que je commençais comme une comédie, limite comme une comédie romantique. Il y a vraiment deux parties dans le film, avec l’accouchement au milieu qui était comme un sas, et tout d’un coup, bam, j’envoyais un truc super dark, et je pense que les gens ont été très déstabilisés. On les emmène sur un chemin, et on bifurque vers un truc qui était très dépressif, mais qui racontait quelque chose par rapport à la maternité, quelque chose de tabou en France. J’ai adoré faire ce film aussi parce qu’il n’est pas anodin. Je me souviens quand on le montrait, on avait des femmes qui sortaient de la salle, on les récupérait en train de pleurer… Mais je pense que c’est un film qui est plus féminin. Je pense que les hommes n’ont pas voulu le voir. Mais les femmes ont adoré le film. J’ai de beaux témoignages par rapport à ce film.

Alors que Nos Futurs est sorti l’été, à un moment où chez Gaumont c’était un peu compliqué. Ça a été une cata, et ça m’a un peu coupé les jambes. Après, mon enfant est né un mois plus tard, heureusement.

Un très grand merci à Rémi Bezançon pour avoir accepté si chaleureusement et simplement cet échange, et pour sa curiosité envers le blog.

Le Mystère Henri Pick, actuellement au cinéma.

Ma vie en l’air, Le Premier Jour du reste de ta vie, Zarafa, Un heureux événement et Nos Futurs, disponibles en DVD/VOD.

Un commentaire sur “Entretien avec Rémi Bezançon autour du film Le Mystère Henri Pick

Ajouter un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :