Lucile Poirier, mère de Delphine de Vigan, était une enfant belle et rêveuse. Au sein d’une famille hors normes et marquée par de nombreux drames, elle chuta dans les profondeurs de la maladie mentale avant de renaître de ses cendres.
J’entretiens une relation assez paradoxale à l’œuvre de Delphine de Vigan. Une part de moi la classe parmi les auteurs à suivre depuis la lecture des Heures souterraines, alors même que ce roman m’avait complètement laissée sur ma faim. J’avais préféré No et moi et l’aspect déjanté des Jolis garçons. De ce fait, je craignais un peu que Rien ne s’oppose à la nuit, en tant que biographie romancée, n’exerce pas sur moi le charme que sait déployer la plume de l’auteur dès lors qu’elle entre dans la fiction la plus éloignée de sa réalité.
Mes craintes ont été assez rapidement déjouées par le récit : la vie de Lucile et de sa famille est tellement hors du commun qu’elle concurrence largement la fiction la plus constellée de rebondissements. Les figures de Georges et Liane, les grands-parents maternels de l’auteur, sont si riches et complexes qu’elles constituent de parfaits personnages romanesques.
Je me suis donc plongée sans réticence dans le récit de l’enfance de Lucile, petite fille trop jolie pour passer inaperçue, pressentant déjà que cette beauté risquait de lui porter préjudice. Toute la première partie, évoquant à la fois les rites familiaux les plus joyeux mais aussi le premier drame qui frappa la famille (la perte d’un des frères de Lucile), m’a complètement embarquée.
Cependant, j’ai été beaucoup moins ravie par les intermèdes évoquant le travail de l’auteur sur son texte, ses hésitations, les réactions des membres de sa famille et les moyens dont elle a usé pour recueillir autant d’informations que possible. En brisant la trame narrative, ces passages m’ont sortie de l’histoire et ramenée au présent de l’écriture. Quel besoin d’évoquer ses propres tourments d’auteur lorsqu’on tient à rendre hommage à sa mère ?
C’est sans doute ce déplacement de la focale, accentué lorsque l’auteur évoque sa propre enfance et ses ressentis personnels face à une mère alternant périodes exaltées et dépressions profondes, qui m’a empêchée de ressentir l’émotion qui avait submergé plusieurs lecteurs de mon entourage. Au fil des pages, les coups durs accablant la famille s’accumulant, j’ai presque eu l’impression de lire les pages faits divers de la presse, avec ce même mélange de curiosité malsaine et de compassion.
Il n’empêche que le roman a de quoi tenir en haleine, et que l’amour pour cette mère hors du commun transparaît à chaque page. Pour autant, tous les lecteurs ne se sentiront pas forcément à l’aise avec l’idée qu’il s’agisse là d’une histoire vraie. La question qui se pose est un peu la même qu’avec les livres d’Édouard Louis par exemple (même si j’ai préféré celui de Delphine de Vigan, et de loin) : est-il vraiment sain de faire de ses traumatismes un roman ?
Je suis complètement d’accord avec ton interrogation finale, mais je me rappelle ne pas avoir aimé ce livre… Peut-être faudrait il que je le reprenne. Merci pour ton avis !
Ah merci, je me sens moins seule à me poser cette question !
😉
Je pense que je suis très réceptive aux histoires vraies, aux traumatismes d’enfances, car Rien ne s’oppose à la nuit et les romans d’Edouars Louis m’ont beaucoup émue, j’ai été remuée à l’extrême en les lisant. Or je n’ai pas eu de traumatismes d’enfances moi même, mais leur écriture m’ont beaucoup sensibilisés
Je crois qu’ils touchent surtout les gens qui n’ont pas vécu ce dont ils parlent, en tout cas pour « En finir avec Eddy Bellegueule » j’avais vraiment observé ça. Remarque je n’ai rien vécu de tout ça non plus et je n’accroche pas…
C’est peut être une sensibilité avec l’écriture ou avec le thème abordé. C’est tellement subjectif, que chacun lis et apprécie différemment.