Madame de la Pommeraye vit à la campagne loin des mondanités et de l’amour. Mais elle finit par se laisser séduire par le marquis des Arcis, en dépit des préventions de sa meilleure amie contre ce libertin…
Deux ans bientôt que j’attendais ce film, totale inconditionnelle de la filmographie d’Emmanuel Mouret que je suis. C’est l’un des rares réalisateurs dont je puisse me targuer d’avoir vu tous les films, et, je l’ai déjà dit (ici notamment) Un baiser s’il vous plaît est l’un de mes longs-métrages préférés de tous les temps.
Je craignais tout de même un peu cette adaptation en costumes d’un extrait de Jacques le Fataliste. Parce que j’ai adoré l’œuvre de Diderot, étudiée pour le bac, parce que je me demandais si le réalisateur ne risquait pas de perdre sa « patte » dans un film trop classique. Mais comme il l’a dit lui-même en le présentant, « ce qui est moderne c’est ce qui ne vieillit pas avec le temps » et à ce titre je parie sur la modernité de Mademoiselle de Joncquières.
Universel dans son thème de la vengeance amoureuse, le film ne lésine pas sur les moyens en décors et costumes pour nous entraîner dans un univers qui fait songer aux Liaisons dangereuses. Mais Diderot n’est pas Laclos, et à la différence de la cruelle Madame de Merteuil, Madame de la Pommeraye n’est pas un personnage antipathique. Il faut dire qu’elle bénéficie de la présence solaire et du jeu éblouissant de Cécile de France. J’ai toujours bien aimé cette actrice (je ne sais pas combien de fois j’ai vu Irène) mais là, j’ai été impressionnée comme rarement par sa prestation. C’est du grand art que la composition de ce personnage de femme libre et indépendante, mais pourtant capable des plus grandes folies amoureuses, touchante dans la force de ses sentiments et effrayante dans son délire de vengeance. On est au delà de l’ambivalence, dans un degré de subtilité de gris qui rendrait fou n’importe quel manichéen. Face à elle, Édouard Baer tient bien le choc dans ce que je considère clairement comme son meilleur rôle. Le tandem offre une palette de dialogues perlés comme du Rohmer, avec quelque chose de moins éthéré, mais pas de moins malicieux. On rit parfois de voir le marquis si bête et si ridicule, et on peut se dire que le film est féministe.
La chute de la bande-annonce (« si aucune âme juste ne tente de corriger les hommes, comment espérer une meilleure société ? ») faisait signe du côté de l’actualité avec l’impression d’une héroïne clairement féministe face à un homme maladroit et libertin par faiblesse plus que par idéal. Pourtant, le film réussit également à mes yeux à dépasser cette grille de lecture, pas déplaisante au demeurant mais un peu limitée. Car il y a celle par qui le scandale arrive, et qui donne son titre au film : Mademoiselle de Joncquières. Jamais Alice Isaaz n’a paru si innocente que sous les traits de la jeune prostituée, et on saluera au passage les éclairages sublimes qui la nimbent d’une aura angélique. Il n’empêche : cette jeune fille, embrigadée dans une machination ourdie par une femme, est vouée à être sacrifiée dans l’affaire. Et c’est là que le film dépasse la guerre des sexes, et m’a étreint le cœur et révoltée. Car pour donner une leçon à un homme, la femme riche et de noble extraction n’hésite pas à sacrifier la pauvre jeune fille en fleur. On croirait voir les rombières persiflant que les jeunes femmes ne devraient pas se plaindre d’être lourdement draguées, comme si le harcèlement n’était pas un traumatisme et un comportement réifiant. Heureusement pour elle, Mademoiselle de Joncquières n’est pas qu’un beau visage… et elle mérite bien de donner son titre à ce film remarquable.
Une question à… Emmanuel Mouret
Emmanuel Mouret est venu présenter son film à l’UGC Gobelins tout neuf, et a répondu à quelques questions (avant la séance, malheureusement, mais c’est toujours mieux que rien !).
- Pourquoi le film s’appelle-t-il Mademoiselle de Joncquières et pas Madame de la Pommeraye ?
Mademoiselle de Joncquières, le nom n’est pas dans le livre. C’est le personnage qu’interprète Alice Isaaz, c’est un peu l’appât. J’ai voulu donner ce titre pour que le spectateur, quand il va voir le film, se demande pourquoi ce titre. Et c‘est presque pour créer une attente et… vous aurez la réponse à un moment dans le film. Vous allez le comprendre en le voyant. Donc c’est pour titiller justement votre curiosité !
Merci à Emmanuel Mouret pour avoir pris un moment dans le marathon de la journée de sortie pour répondre aux questions avec malice.
J’ai très envie de le voir !