« Et vous avez eu beau temps ? », « Et tu n’as rien senti venir ? », « En même temps, je peux comprendre… », autant de petites saillies du quotidien décochées avec perfidie ou lâcheté…
Il nous avait habitué à des recueils de textes courts, certes, mais pas amers, non, plutôt fringants et revigorants comme une brise estivale, des bulles de joies quotidiennes ; Le bonheur, tableaux et bavardages annonce même l’un de ses titres.
On l’a beaucoup taxé d’épicurisme, et il a toujours nié, pourtant on serait tenté de voir dans ce nouveau livre, qui forme à la fois continuité et rupture avec son œuvre, un petit plaisir décomplexé.
Après Ma grand-mère avait les mêmes et Je vais passer pour un vieux con, Philippe Delerm poursuit son exploration des petites phrases toutes faites du quotidien, glanées au vol comme autant d’instantanés. Certains immortalisent les perles de tous les jours à coup de selfies ou de polaroïds, l’écrivain lui les analyse d’une plume affutée.
Certes, le sujet est récurrent chez lui, mais les expressions qu’il étudie cette fois-ci sont un peu différentes, du moins pour une partie d’entre elles, dont celle qui donne son titre au livre. Trêve de bons sentiments, le minimalisme, une fois n’est pas coutume (tiens, voici une expression qu’on aurait pu trouver au détour de ses pages), s’attaque aux « perfidies » du quotidien. Comment, un Delerm qui se départit de son habituelle humeur souriante et mélancolique ? C’est que l’auteur sait encore nous surprendre, s’attardant ici sur des anecdotes acides, où derrière la sollicitude ou l’apitoiement apparents se décèlent les travers de tout un chacun. Qui n’a jamais demandé à un collègue rentré de vacances s’il avait « eu beau temps » ? Ce à quoi il se sera entendu répondre, au sujet du hâle témoignant que oui, le temps a été beau : « et encore, j’en ai déjà perdu ! ». Qui n’a jamais commencé sa phrase par « C’est pas pour dire mais… » ?
Ça change, cette façon de mettre en lumière nos défauts dans leur oralité quotidienne, mais cela réveille aussi, nous forçant à nous interroger sur nos tics de langage. Et puis, bien sûr, parce qu’on ne se refait pas, on trouve aussi entre les dissections assassines des manifestations de tendresse, des répliques de films adorées, des douceurs d’enfance et d’amoureux. Le positif inexorable de la chaleur humaine transpire entre les vacheries, et nous rappelle que, nous aussi, nous ne sommes jamais si humains qu’entre deux entorses à la moralité. Bon, ça va, on referme le livre avec le sourire, retrouvant nos repères littéraires : le monde n’a pas cessé de tourner.
3 questions à… Philippe Delerm
Deux ans et demi après une première entrevue, j’ai eu la chance de retrouver Philippe Delerm chez mes amis de Babelio, où il a répondu aux questions de Pierre, qui animait la rencontre, et aux miennes au passage…
- Pourquoi ce livre s’intéresse-t-il à la « perfidie » et autres sentiments négatifs, alors que vous nous aviez habitués à évoquer le bonheur ?
Dans la vie je suis un peu moqueur, un peu chambreur, je l’étais en tant qu’enseignant, avec mes collègues. J’ai même écrit des textes plus durs, il y en a dans Enregistrements pirates. On m’a collé depuis La première gorgée de bière cette étiquette « sympa ». En plus le bonheur est devenu un thème à la mode, dans la presse, les médias, il faut non plus être beau mais être heureux. J’ai eu beaucoup de mal à ne pas me laisser enrôler dans cela. Alors cette fois-ci j’ai eu envie de parler d’attitudes que j’observe et que je n’aime pas, qu’elles soient viriles, comme avec le Canard enchaîné ou plutôt féminines comme cette façon de dire « Je ne sais pas faire ».
- Les anecdotes que vous racontez sont-elles réelles ou inventées ?
Beaucoup de phrases sont tirées de situations réelles, souvent vues ou vécues, avec une personne précise. C’est assez facile de deviner lesquelles des petites phrases ont été entendues à Paris, et lesquelles viennent de mon coin de Normandie. Parfois c’est moi qui ai prononcé la phrase en question, par exemple « Souris-moi », je disais vraiment cela à ma mère, même si je n’en suis pas forcément fier car avec le recul, je trouve cela un brin cruel.
- On remarque un grand éclectisme des références, des sujets. Cela vous définit ?
Le sujet de mes livres, c’est la vie. J’ai récupéré un tempérament de spectateur, que j’avais déjà adolescent, et ensuite entre trente et cinquante ans j’ai eu une vie d’adulte très active, mais désormais je peux de nouveau être spectateur de beaucoup de choses. J’ai deux terrains d’observation, à Paris et en Normandie, et j’observe et j’écris partout.
Un grand merci à Philippe Delerm et à Babelio pour ce très beau moment d’échange !
J’aime beaucoup les livres qui analysent les expressions (et parfois leur absurdité :), il me tente bien 🙂
C’est un peu ça oui, même si ce n’est pas de la linguistique pour autant.