Paul et Blaise, deux veufs, soignent leur peine au casino. À la roulette, ils côtoient Éloïse, qui trompe son ennui, Charlène, qui met du piquant dans sa pause déjeuner, ou encore Martine et Jacques, qui jouent en couple…
Je connaissais bien sûr Pierre Bordage de nom, tout en n’ayant jamais rien lu de lui, la SF étant un genre qui ne m’a jamais attirée. Cependant, lorsque j’ai su qu’il sortait un roman de littérature générale Au Diable Vauvert à la rentrée, j’ai été intriguée par cet écart dans sa carrière, et j’ai eu envie de découvrir Tout sur le zéro.
Comme son nom l’indique, le livre est dédié au jeu, à la façon d’un Joueur d’échec qui aurait remplacé le damier par la roulette. Au début, j’ai eu l’impression de lire des nouvelles car chaque chapitre présentait un personnage et son rapport à la roulette électronique, machine diabolique tantôt symbolisée comme l’objet d’un complot, la messagère d’une figure divine ou une maîtresse fougueuse à dompter.
Mais rapidement, les fils de l’intrigue se mettent en place, car si chacun est concentré sur son écran, cela n’empêche pas les accros de se croiser au bar ou au restaurant du casino et de nouer des liens. Car comment éviter les redites et l’ennui dans un récit qui narre le quotidien inéluctable des joueurs hypnotisés par le parcours de la bille, misant inlassablement sur l’unique case verte du plateau ? Eh bien en dévoilant des pans de l’intimité de ces personnages, qui deviennent plus que des silhouettes absorbées par leurs machines, des individus pour lesquels le jeu, plus qu’un divertissement, constitue une échappatoire voire une bouée de sauvetage.
Les déboires pécuniaires des joueurs m’ont en réalité moins intéressée que leurs chassés-croisés sentimentaux. Le parallèle entre le jeu et la tension sexuelle, s’il n’est pas très original, est ici maîtrisé au point de tenir le lecteur en haleine : qui va finir avec qui ? Qui risque de tout gagner ou tout perdre ?
Dans un style entêtant, adapté à son sujet, fait de longues phrases dont les propositions rebondissent tels les soubresauts de la bille, Bordage nous plonge dans l’ivresse de ses personnages, nous amène à ressentir leurs doutes et leur fièvre. Il aborde aussi les corollaires de l’addiction : le manque, l’incompréhension de l’entourage familial, le mensonge. Pourtant les familles des joueurs restent souvent à peine esquissées, à l’instar du mari d’Éloïse, voire à l’état de fantôme comme les enfants de Blaise, que l’on ne voit quasiment jamais dans sa posture de père.
Car tout converge vers le casino, et le roman est un quasi huis clos autour de ce lieu de perdition qui n’est pas réellement jugé comme tel, puisque perçu par les yeux des joueurs. Attention, ne comptez pas sur ce livre pour convaincre un joueur d’arrêter : le récit agirait plus comme un poison qu’un vaccin, distillant à travers l’addiction au plaisir de la lecture le désir de celle du jeu.
Pour l’auteur, en tous les cas, qui misait gros avec ce titre hors de ses sentiers battus, c’est un jackpot !
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