Enceinte de sept mois et demi, Karin tombe soudain malade. À l’hôpital, Tom apprend qu’il va devenir père plus tôt que prévu, et que sa femme est atteinte d’une leucémie avancée…
Plusieurs cas font qu’un livre est très difficile à chroniquer. Parmi ceux-ci, en ce qui me concerne, se placent les histoires vécues. Il m’est beaucoup moins aisé de donner mon avis sur un texte relatant des faits réellement arrivés à l’auteur que sur une fiction. A fortiori quand les faits relatés sont dramatiques.
Rien ne m’obligeait à me mettre dans cette situation, si ce n’est que j’avais depuis longtemps envie de découvrir la collection Notabilia des éditions Noir sur blanc, avec ses couvertures si belles et originales, comme des sortes de rébus en noir et rouge sur fond beige (et ce livre n’échappe pas à la règle, avec son spermatozoïde piégé dans un sablier). Surtout, je n’avais pas réalisé à la lecture du résumé de ce texte, présenté comme un roman, qu’il s’agissait en fait d’un récit autobiographique. À vrai dire, j’ai mis assez longtemps, peut-être une cinquantaine de pages, à saisir que le Tom du récit était bien l’auteur Tom Malmquist.
On peut discuter l’appellation de roman sur un tel texte car tout semble vrai dans son contenu. Cela dit, il y a dans la façon de raconter de Tom Malmquist une vraie plume, et une vraie élaboration littéraire, ne serait-ce que dans la construction du livre, divisé en plusieurs parties : les derniers jours de Karin, la vie avec Livia après le décès de Karin, l’aggravation de la maladie du père de Tom. Tout au long du texte, le récit n’est jamais linéaire, alternant les scènes au présent et les souvenirs dans un va-et-vient permanent. Parfois, au sein d’un même dialogue (ceux-ci sont présentés sans retour à la ligne ni tirets introductifs), on ne sait plus de quel événement on parle, tant les repères temporels se brouillent dans la tête du narrateur. Le choix du titre (dont j’aime beaucoup la traduction française, d’ailleurs je trouve que la traductrice Hélène Hervieu mérite d’être saluée pour l’ensemble du texte) me semble donc tout à fait judicieux : « à tout moment », en effet, ce sont des moments qui sont saisis, et jamais le lecteur ne peut anticiper à quel instant la page suivante saisira les personnages.
Cette déconstruction temporelle, qui suit le mouvement spontané de la mémoire, est sans doute ce qui donne toute sa force au texte de Tom Malmquist et lui offre l’opportunité d’évoquer comme présents les défunts. Jamais Karin ne semble aussi réelle et vivante que dans le souvenir d’une dispute nocturne ou d’une vieille robe bleue. Se souvenir, c’est braver la mort, faire obstacle à la décomposition en ressuscitant l’absente dans tout son être, corporel et spirituel.
Malgré la dureté des événements survenus, le livre ne cherche pas à faire pleurer le lecteur. J’ai beaucoup apprécié la sincérité de l’auteur, son langage parfois cru, qui n’hésite pas à dire qu’il est « dans un état merdique », qui se présente non comme un père héroïque que l’amour pour sa fille porterait au-delà de tout, mais comme un homme au fond du gouffre, qui sait qu’il a eu des torts et commis des erreurs dont il ne pourra jamais demander pardon, qui se demande comment il va continuer à vivre mais qui le fait, au jour le jour. Tout sonne vrai mais rien n’est exagéré et malgré la mise à nu, les mots conservent une forme de pudeur, disons une politesse, celle de ne pas imposer son chagrin aux autres, de ne pas réclamer la compassion. Alors qu’un texte comme Blond cendré avait été pour moi une lecture éprouvante, À tout moment la vie a su me tenir jusqu’au bout sur le seuil de la tristesse sans jamais m’y plonger tout à fait. Sans doute la figure de Livia, cette petite vie née au cœur du malheur, apporte-t-elle comme à son père une consolation bienvenue au lecteur.
Par ce récit, Tom Malmquist a réussi à sublimer son chagrin et à rendre un hommage vibrant à Karin, mais aussi à son père, et à tous ceux qui l’ont épaulé dans la tragédie : sa famille, ses amis, le personnel hospitalier et des services sociaux, et bien sûr la petite Livia, à laquelle on souhaite auprès de son papa une vie longue et heureuse.
Ce roman à l’air terriblement touchant ! Je n’en ai pas entendu parler, mais je comprends qu’il est difficile de donner son avis sur un roman, qui n’est pas que cela. C’est un témoignage, comment peut-on dire ce qu’on en pense ? Il est parfois difficile de trouver les mots justes, et j’ai trouvé ta chronique très belle 🙂
Merci beaucoup ! 🙂