« Camille et Merveille » : « il n’est pas de vertu que la calomnie ne sache atteindre »

camilleetmerveilleCamille, démonstrateur sur les foires, vit dans un garage à vélos entre Dlahba, un maçon slave râleur, et Mme Fillolit, une vieille impotente caractérielle. Lorsqu’il croise Merveille pour la première fois, devant la porte de sa voisine, il est subjugué par sa voix…

Je me suis laissée tenter par ce roman de Ludovic Roubaudi, dont je n’avais encore rien lu, séduite par ce titre étrange. J’ai plutôt l’habitude d’entendre Camille au féminin et je ne savais pas que Merveille pouvait être un prénom. J’y voyais une certaine poésie, un côté rêveur et décalé qui m’a donné envie d’en savoir davantage.

Dès les premières lignes, j’ai adoré l’univers un peu loufoque dans lequel nous plonge le récit de Camille, qui raconte sa propre histoire. Sa façon pleine d’humour et d’empathie de décrire son quotidien, ses voisins hauts en couleur, son métier de démonstrateur spécialisé dans l’ouvre-huîtres révolutionnaire… Très vite conquise par la voix du personnage comme lui-même par celle de sa belle inconnue, j’y voyais déjà une histoire tendre et bizarre comme savent les faire vivre au cinéma un Jean-Pierre Jeunet ou un Pascal Thomas.

Par la suite, le roman évolue, changeant complètement de registre, ce qui m’a un peu suprise. En effet, de l’univers baroque de la rue Marcelle, on tombe vite dans un récit de passion amoureuse somme toute assez classique, avec l’emballement des débuts, la crainte de déplaire, la volonté de tout connaître de l’être aimé. Alors que j’avais beaucoup aimé le C amille conteur, j’ai moins adhéré au Camille amoureux, que j’ai trouvé un peu trop lyrique et dont certains propos m’ont parfois dérangée. La justification de ses élans charnels, la mise en avant de la virilité ont quelque chose d’agaçant, voire de menaçant. La vision de la masculinité que semble défendre l’auteur m’a paru d’un autre temps, et par contraste, le personnage féminin a perdu à mes yeux de sa consistance. J’ai eu l’impression que le narrateur, campant sur sa position d’homme qui refuse à tout prix d’assumer une quelconque part féminine, en venait à faire de la femme une simple projection de son désir. Sans doute est-ce dû aussi au fait que tout le récit soit endossé par Camille, ce qui ne permet pas au lecteur de se glisser dans la peau de Merveille.

Cela peut se comprendre par la seconde évolution du livre, qui de roman d’amour se mue peu à peu en thriller psychologique dès lors que Camille, aidé de sa sympathique collègue Nadège, se met en tête d’enquêter sur le passé de sa compagne. Ayant rapidement découvert un lien entre Merveille et ses deux voisins, l’homme se retrouve pris en étau entre plusieurs versions d’une même histoire familiale sombre et complexe. J’ai nettement plus apprécié cette partie du récit qui sait jouer du suspense et faire intervenir des réflexions intéressantes sur la calomnie, la volonté de détruire, le culte du secret… On en vient à se demander comment tout cela va finir : comme une comédie romantique, les péripéties n’ayant servi qu’à souder le couple principal, ou comme un abominable fait divers ?

Original par ses différents registres mêlés, le roman de Ludovic Roubaudi l’est aussi par son style marqué, très littéraire, usant régulièrement de références culturelles variées (dont hélas un certain nombre m’ont échappées, question de génération sans doute).

Il se dégage de ce roman atypique un certain charme déroutant et un peu désuet, en tout cas pour une lectrice de mon âge. J’aurais cependant aimé retrouver au fil du récit le côté léger et drôle des premières pages qui m’avaient énormément enthousiasmée, même si les thèmes plus délicats abordés dans la suite de l’intrigue (inceste, manipulation, magouilles financières…) ne s’y prêtent guère.

Un roman étonnant qui devrait sans doute plaire davantage à une génération plus proche des valeurs et références des protagonistes que la mienne.

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