Thierry, au chômage depuis plus d’un an, est prêt à accepter n’importe quel emploi. Mais de stage en formation, rien n’aboutit. Il est finalement embauché dans un supermarché…
J’avais découvert le cinéma de Stéphane Brizé il y a quelques années avec Je ne suis pas là pour être aimé puis j’avais vu son adaptation de Mademoiselle Chambon, qui m’avait beaucoup touchée. Avec La loi du marché, le réalisateur opère un tournant qui n’est pourtant pas une rupture.
D’abord parce qu’on retrouve Vincent Lindon dans un rôle principal pas si éloigné de celui de Mademoiselle Chambon : un homme attentif à sa famille, travailleur, sérieux, droit mais empêtré dans une situation complexe dont il ne sait comment se tirer. Sauf que le chômage remplace ici l’amour interdit. Si les couples improbables ont occupé le cinéaste dans plusieurs de ses films, depuis Mademoiselle Chambon, les thèmes de société avaient fait leur apparition dans son cinéma (Quelques heures de printemps traite de la fin de vie). Mais cette fois la question sociale est au cœur du film, qui se présente presque comme un documentaire. Dès la première scène, qui met Thierry aux prises avec un agent du Pôle Emploi contraint d’avouer que la formation qu’on a fait faire au chômeur n’a servi à rien, le ton du film est donné : un réalisme cru, sans filtre, pour montrer la réalité d’un monde du travail toujours plus cruel. Stéphane Brizé a toujours eu un don pour les premières scènes qui plongent d’emblée le spectateur dans la vie de ses personnages, dans une situation qui permet de les saisir immédiatement dans ce qu’ils sont. Ici, on le sent, Thierry est tiraillé entre une envie de bien faire, d’écouter les conseils, prêt à tout pour retrouver un emploi et subvenir aux besoins de sa famille, et une conscience aiguë de l’absurdité du système.
La machine est enclenchée, celle d’un « marché » qui n’est qu’une gigantesque entreprise de broyage des êtres humains. Du cours de rock, seule distraction pour Thierry et sa femme, aux formations, c’est toujours la même histoire : on vous prend par la main, et sous prétexte de vous donner des conseils, on vous rabaisse, on vous humilie, on vous écrase. Cependant, il faut croire que tous les conseils assenés à tort et à travers au pauvre homme finissent par porter leurs fruits puisqu’il décroche (on ne sait comment, hélas, j’aurais aimé voir la scène d’entretien) un emploi d’agent de sécurité au supermarché du coin.
Si Thierry pensait que c’était la fin des ennuis, il avait tort. Car le voilà de l’autre côté, du côté de ceux qui ont un emploi et doivent traquer, et punir le cas échéant ceux qui, faute de moyens, piquent dans les rayons. Et il n’a pas encore tout vu, car bientôt, on lui demande même de surveiller ses collègues…
D’un point de vue narratif, le film a des défauts à mes yeux, à commencer par ces ruptures brutales qui perdent un peu le spectateur. Mais on ne peut qu’admirer le jeu de Vincent Lindon, qui comme souvent, est encore meilleur lorsqu’il se tait et transmet des émotions rien qu’avec sa posture et son regard : il a bien mérité sa récompense cannoise. C’est également une belle initiative d’avoir fait jouer les salariés du Cora choisi comme lieu de tournage. Il se dégage de l’ensemble une vérité qui blesse : en France aujourd’hui, la loi du marché est celle du plus fort (du plus riche) qui se permet d’humilier sans relâche ceux qui triment pour le bien de leurs familles. Si l’on aime parfois que le cinéma nous fasse rêver, c’est aussi son rôle de révéler ces vérités qui dérangent.