Ben Mazué est un homme modeste, alors au lieu de donner son nom à son deuxième album, il lui a donné son âge, histoire d’en faire le portrait d’un trentenaire comme les autres, ou presque, juste un peu plus attentif à ceux qui croisent sa route.
Ben Mazué, son nom ne vous dit peut-être rien encore, comme c’était mon cas il y a quelques mois, mais ça ne va pas durer. Vu son talent, on peut pronostiquer sans prendre trop de risques que cet homme-là ira loin. Peut-être jusqu’aux Grammy Awards, un jour qui sait, comme il se plaît à l’imaginer quand la réalité l’ennuie, mais au moins jusqu’au cœur du public… à moins que ce ne soit déjà fait.
En arrivant sur scène, avec sa guitare et un pianiste, il joue une de ses premières chansons, « Imprévu », parce que, dit-il, ça lui plaît bien de dire « l’imprévu en préambule ». En trois mots, ça vous prévient : Ben Mazué aime les mots, leurs jeux, leurs coïncidences et leurs sonorités. Vrai poète, avec des rimes et des métaphores comme on n’en fait plus, auteur, pour lui et pour les autres (les Fréro Delavega lui doivent la réécriture du tube de l’été « Sweet Darling » et la très jolie « Même si c’est très loin »), il a surtout compris qu’il faut arrêter de penser que l’anglais seul se prête à être chanté. Musical comme jamais, notre français, dans sa bouche, fait résonner les contradictions, les joies et les doutes de tout un chacun.
L’imprévu, ça lui va bien, on dirait presque qu’il se demande comment il est arrivé là, non seulement à faire des disques et à se produire devant un Européen plein comme un œuf en ce 16 décembre, mais aussi dans notre monde. Je le soupçonne d’avoir débarqué d’une planète lointaine, beaucoup plus douce et sucrée que la nôtre, plus subtile aussi. Il pose sur les gens un regard toujours compréhensif et tendre, qui ne juge jamais, s’interroge toujours, parce que la vie, parfois triste, parfois légère, lui semble surtout mériter qu’on l’observe attentivement.
D’abord la sienne, ce qu’elle lui offre de bonheurs, comme celui d’une rencontre avec une femme « rousse, même plus que moi » (« Évidemment », issue du premier album) et de la découverte de la paternité (« Oui-oui »), ou d’épreuves qui résonnent universellement (« Vivant »). Et puis, surtout, celle des autres. Ces personnages qui traversent ce deuxième album et qui, comme lui, ne seront désignés que par leur âge et jamais nommés. C’est sur des moments clés de la vie que Ben Mazué s’attarde, comme un arrêt sur images, ou plutôt un film au ralenti qui dévoilerait en voix off tout ce qui se passe dans la tête de ces quidams. De la première fois à l’adolescence au sondage téléphonique qui vient réveiller la vie assoupie d’un homme mis en retraite anticipée vingt ans plus tôt, en passant par une soirée où se croisent un jeune homme sans préjugés et une femme déjà plus si jeune et paumée, on s’attache à tous sans exception, et on pleure parfois, aux accords d’un piano tout en délicatesse.
Parce que l’existence c’est vraiment ça qui l’intéresse : cette association de fêlures en chacun qui, rassemblées, produisent le sentiment d’humanité. Musset faisait dire à Perdican : « il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. » Ben Mazué, lui, s’unit aux personnages qu’il dépeint, leur apporte son « petit cœur tout mou » de chamallow, et ce faisant, nous rassure. « Ça va, la vie j’l’aime bien quand même », dit l’un de ses personnages, et tout son public pourrait en dire autant à la fin du disque, et encore plus à la sortie du concert. Spectacle serait d’ailleurs plus exact, car Ben Mazué n’économise que les moyens sur scène. Lui, il se met en quatre, sert le thé à une intervieweuse imaginaire, nous fait visiter son appartement et nous confie, entre deux chansons, la lettre que sa mère lui a envoyée du Paradis. Il paraît que là-bas, on ne nous attend pas, alors profitons-en, encore, pour être ensemble ici, et propageons la musique de Ben Mazué : je vous assure qu’elle a de quoi adoucir les mœurs. Et si le monde de demain, c’était la révolution chamallow ?
Trois questions à… Ben Mazué
J’ai eu l’occasion de rencontrer Ben Mazué à la fin de son spectacle le 16 décembre. Je lui ai fait parvenir ces questions suite à ce concert.
- D’où vous est venue l’idée de désigner les personnages qui traversent l’album par leur âge ? Qu’est-ce que cela signifie, par rapport à un prénom ou n’importe quelle autre caractéristique ?
Cela ne signifie rien. Je suis entré dans les portraits avec 14 ans, qui est un âge précoce pour faire l’amour je trouve, et je voulais pas qu’on s’identifie à un prénom. Ensuite j’ai fait le portrait de 35 ans, et je l’ai appelée par son âge pour faire comme 14 ans, et ça s’est enchainé…
- Votre musique a beaucoup évolué entre le premier album et « 33 ans », et c’est encore plus flagrant sur scène. On a l’impression que vous allez vers plus de cohérence et de sobriété, une simplification des arrangements pour ne garder que l’essentiel. Pensez-vous poursuivre dans ce sens ou avez-vous envie d’explorer d’autres registres pour les prochaines chansons ?
Je ne sais pas. Cette fois-ci je voulais beaucoup parler, je voulais oublier ce que je savais des concerts, et mettre de la musique dans mon discours, pour raconter des vies, dont la mienne. Il est certain que ça va vite me manquer de jouer plus de musique sur scène.
- Vos chansons racontent des histoires, comme de petites nouvelles mises en musique, et votre concert est plutôt un spectacle incluant du stand-up. Aimeriez-vous mettre votre plume au service d’autres projets, comme l’écriture d’un roman, d’une série ou autres ?
Absolument. Je travaille sur des supports d’écriture différents des chansons, ou des discours. J’essaie de voir comment raconter une histoire plus longue, plus étoffée.
Un grand merci à Ben Mazué pour ses réponses et sa sincérité.