Providence Dupois est aux cents coups : alors qu’elle s’apprêtait à décoller en direction du Maroc où l’attend Zahera, sa fille adoptive atteinte de la mucoviscidose, un nuage de cendres volcaniques entraîne l’annulation de tous les vols. Qu’à cela ne tienne, la factrice est prête à tout pour rejoindre sa fille, même à l’impossible…
On dit souvent que le cap du deuxième roman est le plus difficile. D’autant plus quand, comme Romain Puértolas, on est l’auteur d’un énorme succès-surprise. Comment rebondir après L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire IKEA ? Pour l’homme qui écrit sur ses chemises, la question ne s’est finalement pas tellement posée : de son deuxième roman publié, il faut rappeler que c’est en fait le neuvième qu’il écrit. Surtout, il l’a couché sur le papier très vite, avant même la réussite du Fakir.
Pourtant, on ne peut s’empêcher de penser à la lecture que le succès est passé par là. Quelque chose dans l’écriture très joyeuse et portée sur le jeu de mots, parfois répétitif, a changé. Si l’on retrouve un goût pour la langue et pour les inventions loufoques, sorties d’un univers qui n’est pas sans rappeler Boris Vian (les vêtements au fromage, par exemple, création vraiment burlesque), j’ai découvert une facette insoupçonnée de cet auteur : la capacité à dénoncer, à prendre position, quitte à employer la caricature, quitte à user de mots familiers. Romain Puértolas se lâche, et il a raison : le succès de son premier roman l’y autorise. Qu’on ne s’y trompe pas : La petite fille garde un côté feel-good book, la capacité à faire sourire et à rappeler la nécessité des bons sentiments. Pourtant, le livre est beaucoup plus nuancé et, par certains côtés, amer. La noirceur saute au visage du lecteur au détour d’une page, entre un bikini à fleurs et des étoiles phosphorescentes. Tout à coup, il est question de maladie, et non plus avec des métaphores météorologiques, mais avec des mots crus, et vrais. Tout à coup, il est question de l’essence de la vie, de son injustice et de sa fin. De la politique, aussi, un monde que l’auteur ne porte pas dans son cœur si l’on en croit ses portraits au vitriol des dirigeants qui croisent la route aérienne de son héroïne.
Car La petite fille est avant tout un roman du voyage, à l’instar du Fakir. Voyage dans les airs ici, mais aussi voyage intérieur, celui d’une femme comme les autres qui devient le symbole de l’amour maternel, d’une enfant qui s’ouvre au monde, d’un homme qui redécouvre une femme qu’il croisait tous les jours. Si l’aventure a des forces et des faiblesses, il n’en reste pas moins que les messages véhiculés sont forts : l’importance d’ouvrir les yeux sur ceux qui nous entourent, de se donner les moyens d’accomplir son devoir et ses rêves, de ne jamais renoncer. La puissance de l’amour aussi, et, moins conventionnel et plus intéressant à mes yeux, celle de l’imagination.
À cet égard, la fin du livre, pour surprenante qu’elle puisse paraître (je n’en dirai pas plus pour ménager le suspense), est très forte : elle révèle le pouvoir de la fiction, celui de transformer la réalité, de faire vivre nos rêves et nos souvenirs, de lutter contre la fatalité pour ne garder que le meilleur. Au royaume puértolasien, la sublimation freudienne serait reine.
Au bilan, La petite fille m’a semblé plus inégal que le Fakir, par endroits moins original d’un point de vue littéraire, mais plus fort en termes de fond et de message. Ce qui est sans nul doute le plus important.
Trois questions à… Romain Puértolas
- Du fakir à la factrice, la profession de votre personnage semble née d’un jeu de mots. Et son nom, « Providence Dupois », d’où vient-il ?
Bravo, oui, c’est un jeu de mot sur la proximité phonétique entre fakir et factrice. Pour le nom, j’avais d’abord écrit tout le livre avec le prénom de ma fille, Eva (le contrôleur, lui, s’appelle Léo, comme mon fils), mais j’ai changé car je voulais un prénom type conte ou parabole, avec un sens à ce prénom en accord avec l’histoire ou la profession. Donc Providence m’a paru un beau nom lié au destin de ces lettres que l’on reçoit. Pour le nom de famille, je voulais un joli nom français. Cela rappelle le petit pois, et puis aussi le « poids », comme Du Poids, alors qu’elle vole, même avec ce poids…
- On trouve dans votre roman beaucoup de références à une culture pop, internet et télévisuelle : par exemple l’homme qui a posé en tutu aux quatre coins du monde. Est-ce que pour vous tout est source d’inspiration ?
Oui, tout. J’ai trouvé cette anecdote sur Facebook et j’ai vraiment adoré l’histoire. C’est une histoire vraie, mais j’aurais adoré l’inventer et l’écrire.
- Sans dévoiler la fin du livre, on dira simplement que vous laissez au lecteur une marge d’interprétation. Est-ce important pour vous, de stimuler l’imagination et la créativité des lecteurs ?
Bien sûr, un livre, c’est fait pour ça, pour nous l’approprier nous-même, nous faire vivre ce que l’on veut vivre, nous faire voir ce que l’on veut voir. Je suis conscient qu’une fois que mon livre est en librairie, il ne m’appartient plus. Chacun peut lui donner le sens qu’il veut et se l’approprier.
Un grand merci à Romain Puértolas pour ses réponses et sa fidélité à Lilylit.
Bel article, super ces trois questions à romain puertolas ! Son livre est dans ma pal, hâte de le lire !